"... je descendis (...) le Rhône au cours tourmenté et sinueux." Mary Shelley Frankenstein (1817)
Le Rhône prend sa source d'un glacier dans les Alpes suisses, le glacier de la Furka. Il coule pendant 812 kilomètres avant d'atteindre la mer, dont 522 en France. Avant de rejoindre notre pays il rentre dans le lac Léman, dans lequel il se perd par un beau delta. Le lac restitue de son eau pour recréer le Rhône à Genève. A son arrivée dans la mer, ce fleuve, à lui-seul, représente plus du sixième des apports fluviaux à la Méditerranée. Lorsqu'on se trouve à Gletsch, premier village que le fleuve rencontre, on regarde le Rhône couler dans sa première vallée glaciaire, car, encore au siècle dernier, le glacier de la Furka arrivait jusqu'ici. Aujourd'hui, on l'aperçoit en haut de la montagne qui nous fait face et sur laquelle serpente la route du col qui, au-delà du Saint-Gothard, mène en Italie. De cette glace bleutée salie par le vent coulent de nombreux ruisseaux et cascades qui forment les premiers pas du fleuve. Passé le village de Gletsch, il tombe dans une gorge à la pente abrupte, aride et austère. Déjà de nombreux petits affluents vont alimenter son cours. Nous sommes dans le Haut-Valais de langue allemande, et ici, on appelle le fleuve Rotten. Jusqu'à Brigue, lieu de passage de l'allemand au français, il coule ainsi alternativement en gorges pleines de cascades et de bassins creusés par les glaciers que les spécialistes appellent ombilics. Il coule ensuite dans une plaine, dans la même direction qu'il change seulement à Martigny par un coude serré. En tranchant une gorge étroite dans les couches sédimentaires des Alpes, il constitue alors le défilé de Saint-Maurice, avant de retrouver la plaine qu'il a édifiée en entrant dans le lac Léman. Le Valais montre déjà à l'évidence les deux qualités que le Rhône conservera jusqu'à son embouchure: un fleuve de lumière, car le Valais profite d'un merveilleux microclimat qui l'ensoleille toute l'année, et un fleuve de montagne, car il est entouré de magnifiques massifs que le soleil couchant éclaire en dents acérées. Nous sommes déjà dans le midi avec ce soleil. La forêt de Finges, située en Moyen-Valais, en témoigne. Traversée par un Rhône resté sauvage, elle est composée de pins, amandiers, chênes pubescents, figues de Barbarie... La Provence de la Suisse. Et puis, il y a la vigne importée ici aussi par les Romains. Toutes les pentes ensoleillées de la montagne sont couvertes de vignes. Plusieurs cépages existent: pour le vin blanc, le chasselas qui produit le fendant et le sylvaner qui produit le rhin, pour le vin rouge, le pinot noir et le gamay qui produisent le dôle et le goron. Le Rhône sera désormais toujours accompagné de la vigne, en Savoie et dans l'Ain, dans le Rhône, la Loire et la Drôme, l'Ardèche et le Vaucluse... Le Léman n'est pas du tout une excroissance du fleuve. C'est un lac dont l'eau et ce qu'elle contient rend cet organisme complètement différent du Rhône, si bien que le Léman ressource le fleuve à Genève. Là, il profite de la saignée creusée par les glaciers et le fleuve sous-glaciaire würmien pour couler, jusqu'à Seyssel, dans des défilés grandioses et clairs de falaises calcaires. C'est avant Bellegarde qu'il se cachait autrefois dans les fameuses pertes du Rhône, aujourd'hui noyées dans la retenue de Génissiat. Il vient alors de passer le beau défilé de l'écluse gardé par le Fort-de-l'écluse. A Seyssel, il change de physionomie pour couler dans les plaines laissées par les glaciers des époques géologiques, sauf à creuser le défilé de Pierre-Châtel, à côté de La Balme. Il est passé alors dans la vaste plaine de Chautagne et de Lavours, juste à côté du lac du Bourget, avec lequel il est encore relié par le canal de Savières. Cette configuration donne lieu à une curiosité hydrologique: l'écoulement de l'eau dans ce canal est alternée selon que le Rhône en crue coule vers le lac du Bourget, ou selon que ce dernier coule dans le fleuve à l'étiage. On croit savoir que le fleuve pré-quaternaire empruntait le val du Bourget et la cluse de Chambéry, la glaciation alpine ayant imposé un changement de tracé. Quoiqu'il en soit, le lac du Bourget et la Chautagne se sont rehaussés de presque six mètres depuis le Néolithique et cette montée du sol a isolé les marais de Lavours et de Chautagne. De Sault-Brénaz à Lyon, le fleuve coule entre le Bugey et l'Île-Crémieu avant d'aborder la plaine de l'Ain, après le confluent avec cette rivière. A Lyon, il aborde un nouveau paysage, celui de l'axe Saône-Rhône qui se dessine de la Lorraine à la Méditerranée. Il se dirige alors vers le sud dans une succession de défilés (Tournon, Saint-Vallier, Donzère) et de plaines, sillon alternativement creusé et comblé par les alluvions, occupé par la mer et les glaces. Dans les ères géologiques, la vallée du Rhône a toujours connu la mer ou les glaciers. Ce paysage typique, la ria rhodanienne, confère au Rhône cette magie qui suscite l'imagination. Elle a produit nombre d'histoires et de légendes, alimentées par l'activité des hommes qui ont largement utilisé cette vallée depuis la nuit des temps. Nous verrons comment l'aggravation des crues au Moyen Âge a fait passer le fleuve d'une physionomie à un seul chenal (en méandres) à une physionomie en tresses. L'Arve, l'Isère, la Durance, l'Ardèche, le Gard et bien d'autres affluents apportaient une importante charge caillouteuse dans l'axe fluvial au moment des grandes crues. Seule la pente importante de ce fleuve-torrent lui a permis de trouver sa réponse en multipliant les bras et les îles. Aujourd'hui, il est de nouveau extrêmement simplifié par les aménagements de l'Homme. Le fleuve quitte la montagne seulement lorsqu'il devient un grand delta qui le sépare en plusieurs bras, aujourd'hui simplifiés en Grand-Rhône et Petit-Rhône, mais autrefois multiples, pour rejoindre la mer sur un fond caillouteux, amené ici, selon les légendes, par Héraclès dans un de ses combats de titan, en réalité par les fleuves eux-mêmes, le Rhône et la Durance, dont il reste un vaste témoignage: la plaine de la Crau. Puis, le fleuve a lutté contre la mer, a occupé le terrain, avancé en accumulant une épaisse couche de sédiments sur ces galets. La Camargue est ainsi lieu de conflit permanent entre le fleuve et la mer, l'eau et le sel, le fleuve, la mer et les hommes.
HYDROLOGIE DU RHÔNE (en mètres cube par seconde) |
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Génissiat |
Lyon (St Clair) |
Valence |
Viviers |
Avignon |
Beaucaire |
Débits
moyens annuels |
360 |
599 |
1414 |
149 |
1605 |
1691 |
Débits
d'étiage |
141 |
215 |
480 |
506 |
540 |
536 |
Crue décennale |
1540 |
3150 |
5670 |
5500 |
7200 |
8200 |
Crue millénaire |
2610 |
5440 |
9570 |
9000 |
12600 |
13820 |
(Source C.N.R.)
Le Rhône, fleuve de montagne, possède un régime hydrologique complet puisqu'il lui permet de remplir toujours son lit d'une énorme quantité d'eau. En amont, il bénéficie d'une tendance glaciaire, car le Rhône et nombre de ses affluents sont alimentés par la fonte des glaces qui leur donne de forts débits en juillet et août dans les hautes vallées; plus bas, de mars à juin, la fonte des neiges alpines et jurassiques soutient son débit de fleuve à tendance nivale. La tendance pluviale marque le sillon Saône-Rhône, avec les pluies océaniques au nord et méditerranéennes au sud. La Saône, grand affluent, complète les débits par son régime pluvial océanique, corrigé par le régime pluvionival du Doubs. Ainsi, à son embouchure, le Rhône possède un débit moyen deux fois plus important que la Loire et trois fois plus important que la Seine.
Fleuve-torrent, le Rhône, telle une bête sauvage, résista longtemps au dressage des hommes qui ont toujours voulu le domestiquer...
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