«Une terrible aventure, quand on y pense! Nous nous précipitons à travers les ténèbres, avec ce froid du fleuve qui semble nous envelopper pour mieux nous frapper.» Bram Stoker Dracula (1897)
2) LE FLEUVE DOMPTE ?
FLEUVE FRONTIERE
Les
mariniers utilisaient deux mots étranges pour désigner
la rive droite ou la rive gauche. à l'avant du bateau, le
pan en main, le pilote sondait le fond et annonçait,
parfois d'une voix impérative, au patron qui tenait le
gouvernail: Au dix-huitième siècle, en amont, le fleuve fut frontière entre la Savoie (Royaume de Piémont-Sardaigne) et la France. Les deux forts de l'Ecluse, juste après la Suisse, témoignent encore de leur ancienne fonction militaire de gardiens de la frontière. Le plus ancien, le plus près du fleuve, ancienne forteresse des ducs de Savoie, rebâti par Vauban sous Louis XIV, détruit par les Autrichiens en 1814, fut repris par les troupes françaises qui firent ébouler sur lui des quartiers de roc qui l'écrasèrent. Il a été reconstruit en 1824. Le second, plus moderne, se dresse plus haut sur un éperon rocheux. Ces deux fantastiques forteresses qui communiquent entre elles par des galeries et escaliers, semblent suspendues au-dessus de l'abîme. Dans ce secteur, le fleuve a creusé sa vallée en forme de canyon, un sillon profond dans le massif de craie, stabilisant ainsi une frontière naturelle. En 1860, après sa guerre victorieuse contre l'Autriche avec l'appui de la France, le royaume Sarde lui céda la Savoie (ainsi que Nice). Le nouveau royaume d'Italie est proclamé en 1861. Il recouvre l'Italie actuelle, sans la Vénétie et sans les Etats de l'Eglise autour de Rome, acquis respectivement en 1866 et 1870. Les Romains ont largement utilisé la vallée du Rhône comme moyen de communication. La province romaine de Gallia Narbonensis s'étendait sur toute la vallée du Rhône du Valais suisse à Narbonne; sa capitale était Vienne, au bord du Rhône. Le fleuve n'était pas frontière, le vieux pont romain de Vienne dont les ruines subsistèrent jusqu'au siècle dernier en a longtemps témoigné. D'ailleurs, cette fonction de pénétration du fleuve dans les terres subsiste jusqu'à nos jours. Le bas Moyen Âge considérait que le royaume du traité de Verdun (843) était limité par les «quatre fleuves»: le Rhône, la Saône, l'Escaut et la Meuse. La France est aussi connue comme un beau jardin dont partent les quatre fleuves qui irriguent le monde. Mais ce jardin est plus une représentation idéale qu'une réalité géographique. La vallée du Rhône constituait néanmoins un royaume en soi. Et lorsque l'histoire y plaça la frontière entre le royaume de France et l'empire d'Allemagne, ce dernier incluait la vallée dans son territoire. Plus au nord, la frontière était constituée par la Saône. Mais l'Empire délaissait ces terres situées à ses confins. Les archevêques y apparaissaient alors comme les vrais détenteurs du pouvoir seigneurial. Toute l'histoire de la ville de Lyon en témoigne. Les querelles de pouvoir entre le Sacerdoce et l'Empire ont facilité les avancées diplomatiques du roi de France en direction des grandes seigneuries épiscopales de la vallée du Rhône dans sa partie moyenne. Ainsi l'Empire reculait au profit du Royaume. En 1312, l'archevêque cède au roi la souveraineté du Lyonnais; en 1349, le Dauphiné est cédé au fils du roi de France. En 1477, après la défaite et la mort de Charles le Téméraire devant Nancy, Louis XI adjoint la Bourgogne au royaume de France, en 1480, acquiert la Provence sur la maison d'Anjou. Voilà donc l'axe Rhône-Saône inclus dans le pays de France. Le Haut-Rhône reste dans le Duché de Savoie. On le voit, le fleuve ne constituait pas vraiment une frontière, mais plutôt un pays limitrophe d'un empire ou d'un royaume. Malgré tout, la réalité reste bien plus complexe, car aujourd'hui encore, le milieu du lit constitue une frontière administrative entre les départements et les communes. L'entité économique et culturelle du fleuve est donc coupée longitudinalement par son lit mineur. Pourtant, les riverains, qu'ils soient de l'Empi ou du Riaume ont tous la même culture, la même tradition fluviale héritière de l'unité que leur a toujours apportée le fleuve grâce aux transports fluviaux, aux richesses (pêche, chasse, agriculture) et aux traditions folkloriques (joutes nautiques, légendes). N'oublions pas que la batellerie rhodanienne utilisait l'eau du fleuve, bien sûr, mais aussi ses berges, car la remonte de ce fleuve puissant et impétueux ne pouvait se faire à la force du vent (comme c'était le cas sur la Loire) mais à la force des muscles des chevaux et des hommes sur les chemins de halage. La batellerie a toujours occupé à la fois le lit du fleuve et ses deux berges. En fin de compte, cette contradiction de l'histoire du fleuve qui unit et divise ses riverains, n'est-elle pas la définition même de la frontière qui sépare, soit! mais qui, en le faisant, unit également, dans une même réalité contradictoire les «riverains» de cette frontière?
SE PROTEGER DU FLEUVE
Les agressions du fleuve, inondations, variations du lit mineur, ont contribué à cette union-division des riverains. Lorsque la batellerie prit son essor, les habitants de la vallée s'approchèrent du fleuve pour mieux profiter de ses avantages économiques. Cette proximité n'exista pas toujours. Au départ, les gens s'installaient sur les hauteurs comme ce fut le cas à Lyon sur la colline de Fourvière. Mais, en plusieurs passages, le lit majeur du fleuve seul permettait aux routes de passer. La plupart des aménagements précoces eurent pour but de protéger ou de créer ces voies de communication. Ils se poursuivirent bien sûr jusqu'à l'époque du chemin de fer. Les gens d'une rive se plaignaient que des digues installées sur la rive d'en face repoussaient le flux vers eux. Ainsi, au dix-neuvième siècle, à Givors, ville de la rive droite d'un coude prononcé du fleuve, les habitants demandèrent souvent des travaux pour protéger leur ville des fréquentes inondations. Par exemple, selon les Givordins, il fallait détruire une digue en amont, sur la rive gauche, construite pour protéger le pont de chemin de fer. Or, après la grande crue de 1856, la compagnie PLM avait fait rehausser cette digue. Givors est ainsi encore plus inondée, d'autant plus que de nombreux épis construits en aval du pont, pour la navigation cette fois, accumulent sables et graviers qui repoussent l'eau sur la petite ville d'en face. Le lit du fleuve, avec ses îles, ses lônes poissonneuses, ses berges couvertes de roseaux et de vorgines, constituait un terrain productif pour les gens du fleuve. Ils y pêchaient, fauchaient de la nourriture pour les animaux, y coupaient du bois de chauffe. Les techniques n'existaient pas pour construire des digues solides face à un fleuve aussi tumultueux. Les rares tentatives montraient qu'une digue repoussait le courant et ses dégâts sur l'autre rive. Pendant des siècles, on laissa faire librement le fleuve. On n'aménagea que les ports et les rives soutenant les chemins menant aux très rares ponts. Gilbert Tournier, dans son livre «Rhône, Dieu conquis», fait remonter au douzième siècle les premiers endiguements du bas Rhône. Mais ces constructions fragiles ne pouvaient que rester locales, donc sans grand effet de protection. Au dix-huitième siècle et jusqu'en 1840, date d'une grande crue, on a construit quelques digues insubmersibles pour limiter les effets des inondations et des revêtements de berges et éperons pour lutter contre l'érosion des rives. Sur le haut Rhône, d'abord. A la fin du dix-huitième siècle, un aménagement fixa le confluent du Rhône et du Guiers. Sur la rive droite, en Savoie, au royaume des Victor-Emmanuel, la digue de Chautagne fut construite au début du siècle et la digue de Picollet, élevée dans les années 1774-1783, fut prolongée par les Français en 1792. La digue de Palliod fut terminée en 1848, le roi Victor-Emmanuel III voulant s'attirer le soutien des populations du secteur en préservant leurs terres des plus grosses inondations. Côté Français, on utilisa le développement des voies de communication pour créer de nouvelles protections: la voie ferrée Culoz-Bellegarde (1853-1857) et la route royale Valence-Genève entre Rochefort et Culoz (1841-1845) servirent en même temps de digues insubmersibles. Plus en amont, à Seyssel (il y a un Seyssel rive droite dans l'Ain et un Seyssel rive gauche en Savoie), en 1844, on construisit de puissants quais pour préserver les routes et faciliter les communications. Ce qui déclencha les protestations des habitants de Seyssel-Savoie qui craignaient que leurs vins ne soient concurrencés par ceux de Chautagne... à Lyon, le premier problème posé fut celui de fixer le lit du fleuve. Jusqu'au douzième siècle, le Rhône coulait au pied des balmes dauphinoises, bien plus à l'est. Au dix-huitième siècle, alors qu'il coulait au pied de la Croix-Rousse, les Lyonnais craignaient qu'il ne retrouvât ce chemin. L'unique pont traversant le cours d'eau n'aurait alors enjambé que des bancs de graviers. D'ailleurs, les crues semblaient reconquérir petit à petit l'ancien chenal. Or, les vastes domaines agricoles de l'est appartenaient aux Hospices Civils de Lyon. Il fallait donc les défendre contre le fleuve. Après la crue de 1714, les autorités construisirent la digue de la Tête-d'Or (1759-1769), et quelques années plus tard (1772-1774), la digue des Brotteaux. Elles exercèrent bien leur fonction de fixer le lit du fleuve, mais pas celle de protéger les rives contre les crues. La ville se répandait de plus en plus à l'est, se croyant à l'abri des digues. Après la crue de 1812, d'autres travaux apparurent nécessaires. Cette année-là vit la construction d'une route insubmersible à La Guillotière (rive gauche). Mais, à l'amont, les Villeurbannais protestèrent, la crue, contenue à l'aval, risquait de les envahir en amont. Il fallait donc protéger toute la rive gauche du Rhône, de Vaulx-en-Velin à l'amont, à La Guillotière à l'aval. En tenant compte des hauteurs d'eau de la crue de 1812, cela fut réalisé par la construction d'une digue en terre de cinq mètres de haut complétant le dispositif existant. Un autre intérêt de ces grands travaux, était d'occuper les ouvriers au chômage. Mais, le fleuve ne se contient pas aussi facilement. En rétrécissant le champ d'expansion des crues on faisait monter le niveau de l'eau. Ainsi, la digue en terre des Brotteaux ne résista pas à la grande crue du 31 octobre 1840. Elle céda à deux heures du matin sur un tronçon qui avait déjà été déplacé dans le passé. Et malgré les dégâts matériels importants, il fallut attendre encore longtemps avant que ne fussent réalisés les investissements lourds nécessaires pour réaliser de grandes digues insubmersibles. En mai 1856, une autre grande crue survint. à une heure du matin, la digue en terre de la Tête-d'Or céda alors qu'elle avait été relevée de cinquante centimètres au-dessus de la crue de 1840. Que faire alors? L'idée de creuser un canal de dérivation, un moment avancée, fut vite abandonnée. Les grandes digues insubmersibles furent construites et terminées en 1859. D'autre part, la loi du 25 mai 1858, promulguée deux ans après la crue de 1856, interdit toute modification des réservoirs naturels d'expansion des crues situés à l'amont des agglomérations comme Paris et Lyon. Les Ponts et Chaussées s'interdirent tout aménagement du Haut-Rhône au nom de l'intérêt général. La seule exception, justifiée par un phénomène de «basculement hydraulique» dû à la présence du nouveau canal de Miribel, fut Vaulx-en-Velin, à l'amont immédiat de Lyon. Ce n'est qu'après la grande crue de 1840 que fut créé le Service du Rhône qui eut la charge, d'abord d'assurer le maintien de la navigation et ensuite de protéger les riverains. Il construisit de nombreuses digues hautes et discontinues dont on voit encore parfois les restes, digues qui s'abaissaient vers l'aval, laissant la crue envahir doucement les terres en remontant vers l'amont. En vingt années, entre 1860 et 1880, deux cent quatre-vingts kilomètres de digues furent élevées de Lyon à Beaucaire et trois cents kilomètres à l'aval de cette ville. Cette grande *oeuvre comprenait également l'endiguement complet de la Camargue. Paradoxalement, ces constructions n'améliorèrent aucunement la navigation, le fleuve continuant à divaguer entre ces digues en laissant de nombreuses îles. Mais elles protégèrent efficacement les riverains leur offrant, en prime, de nouvelles terres cultivables durant de nombreux mois de l'année. Certaines digues de cette époque subsistent encore de nos jours. De propriété privée (souvent, ce sont des syndicats agricoles qui les possèdent), elles ne sont pas toujours entretenues, et récemment, avec les grandes crues de l'automne 1993 et de janvier 1994, certaines d'entre elles ont cédé. Il faut trouver des financements pour leur réparation.
Le Rhône suisse fut aussi aménagé. Sur de nombreux kilomètres, il présente aujourd'hui un lit rectiligne, car rectifié par les hommes. Avant ces aménagements, la population du Valais était en mauvaise santé, les crues fréquentes du Rhône laissaient un lit majeur très humide, foyer de paludisme. En 1860, une très grande crue inonda le fond de la vallée sur toute sa largeur. Elle emporta vingt ponts sur vingt et un. Les agglomérations, construites sur les hauteurs, ne furent pas touchées. Le jeune Etat confédéré décida alors de financer les deux cents kilomètres de digues et de canaux que nécessite la rectification du fleuve. Ces travaux furent réalisés de 1863 à 1875. à partir de ce moment, l'agriculture fut possible. Aujourd'hui, la vallée est riche sur le plan agricole avec ses arbres fruitiers, vignes et cultures maraîchères. L'appareillage comprenait trois installations: des digues pour fixer le lit, faites de pieux et de pierres sèches et, en longueur, à vingt-cinq mètres de distance, une seconde levée contenait les hautes eaux. Dans le lit, des épis brisaient le courant. On avait espéré que le lit se colmate entre les épis, mais cela n'a pas fonctionné. Cette correction du fleuve n'a jamais servi à produire du courant. Un seul aménagement sur le fleuve, la centrale au fil de l'eau de Lavey, en aval de Martigny, produit de l'électricité. Or, un tiers de l'énergie hydroélectrique de la Suisse provient du Valais, pas du fleuve, mais des gigantesques aménagements dans les vallées latérales méridionales: Mattmark, La Grande Discence et Mauvoisin. Le Valais est le château d'eau de la Suisse.
A partir de 1840, en aval du Léman, un autre problème préoccupait nos ingénieurs: assurer à la navigation un chenal régulier d'une profondeur minimale d'un mètre soixante, avec l'apparition de la navigation à vapeur. Les travaux les plus importants eurent lieu sur le Bas-Rhône, de Lyon à la mer, bien plus navigué que le Haut-Rhône. Pour cela, il faut concentrer les eaux pour que le courant creuse les hauts-fonds encombrant le lit. On commence à le faire le long de digues insubmersibles. Mais, rapidement, le fleuve creuse son lit trop profond, affaissant les ouvrages. Puis, on développe les techniques des digues submersibles: au moment des hautes eaux, le courant n'est plus concentré et le fleuve peut s'épandre plus largement en devenant moins agressif. Mais, avec ces aménagements, le Rhône creuse trop son chenal entraînant une instabilité des fonds. L'ingénieur en chef Jacquet constata que les digues n'ont fait que déplacer les hauts-fonds, malgré le soin apporté à leur tracé, et certains d'entre eux ont été rendus encore plus saillants par le développement de profondes mouilles fixées le long des digues submersibles. Il fallut alors contrecarrer ces tendances. On resserra les digues en les rendant un peu plus submersibles afin qu'elles laissent passer les eaux moyennes. Ces nouvelles digues, lorsqu'elles étaient installées devant les anciennes, étaient reliées à celles-ci par des tenons afin d'éviter tout affouillement entre elles. En utilisant une technique allemande, on fit remplir les mouilles de sédiments par le courant lui-même en créant des chambres de dépôts par la construction d'épis noyés disposés perpendiculairement à l'axe du courant. Enfin, la loi du 13 mai 1878 déclarant d'utilité publique les travaux d'amélioration du Rhône entre Lyon et la mer, provoqua un développement important des travaux et surtout leur coordination tout au long du Bas-Rhône. à partir de 1884, l'ingénieur Girardon acheva l’oeuvre d'aménagement à courant libre du fleuve, puis son successeur Armand jusqu'en 1920. Sa technique devait atteindre trois objectifs: 1) Réunir toutes les eaux dans le lit mineur par la fermeture des bras secondaires, tout en laissant s'écouler les eaux moyennes et hautes. 2) Fixer la position des mouilles près des rives concaves en n'endiguant pas les rives convexes qui doivent présenter une plage en pente douce. Elles existent à l'état naturel, mais on peut les consolider par des épis noyés. 3) Régler l'orientation des seuils qui doivent être parallèles au sens du courant par un appareillage très étudié d'épis noyés. Le résultat fut très bon. En 1878, le mouillage minimum était inférieur à cinquante centimètres sur cinq seuils, en 1882 à quatre -vingts centimètres, en 1890, le mouillage minimum était de cent vingt centimètres. Le nombre de seuils dont la profondeur est inférieure à un mètre soixante passe de 87 % en 1882 à 29 % en 1888 et à 4 % en 1930 sur l'ensemble du bas Rhône. Le nombre de jours navigables passe de 271 jours par an, en moyenne pour la période 1853 à 1877, à 347 jours par an pour la période 1886 à 1907. Ces constructions humaines, épis, digues, «carrés» ont donné sa physionomie originale au fleuve Rhône. Ses paysages typiques de la fabuleuse épopée des mariniers qu'il garde encore aujourd'hui dans ses parties naturelles. Dans ses tronçons court-circuités actuels, le faible débit laisse apparaître pendant les deux tiers de l'année les épis noyés et plongeants, digues submersibles de ces aménagements. Qu'en était-il du Haut-Rhône? 1848 fut l'année du début du creusement du canal de Miribel, la mairie voulant occuper une centaine d'ouvriers de la soie au chômage. Pour le reste, les projets étaient nombreux mais l'argent manquait. Aussi, les aménagements du Haut-Rhône prirent bien du retard sur ceux du Bas-Rhône. Finalement, le service de la navigation corrigea les trois handicaps de la voie d'eau constituée par le Rhône amont. 1) à Lyon, le vieux pont Morand fut partiellement reconstruit en 1865 par la création de deux arches marinières laissant passer les bateaux. 2) Le passage de Sault (rapides très violents), secteur-clé du Haut-Rhône fit l'objet de nombreuses études et débats techniques. Le premier pont à l'amont de Lyon y fut construit en 1781. Finalement, on choisit la solution du resserrement du fleuve à l'endroit des rapides, resserrement qui se réalisa non sans péripéties, la construction d'une digue rive gauche nécessitant ensuite l'élévation d'un endiguement rive droite (1859). En 1865, le service de la navigation compléta le dispositif de digues. Mais le resserrement créait un courant très vif. Même les vapeurs devaient utiliser la halage pour le remonter à cet endroit. Vers 1860 fut installé un bateau-toueur fixe dont les roues mises en mouvement par le courant enroulaient un câble de remorque. Plus tard, en 1879, on installa un toueur hydraulique actionné par un courant dérivé. Ce fut l'ingénieur Girardon qui réalisa, entre 1884 et 1890, la dérivation et l'écluse encore visibles aujourd'hui à côté des bureaux de la compagnie nationale du Rhône. Hélas, ce magnifique ouvrage ne sera pas utilisé car, quand il fut terminé, la navigation à vapeur disparut du Haut-Rhône. 3) Le tressage du fleuve rendait la navigation difficile. Il fallait là aussi le chenaliser. On utilisa les mêmes techniques que sur le Bas-Rhône. En aval immédiat de Lyon, ces aménagements creusant le lit du Rhône, il fallut créer un seuil à l'amont du confluent de la Saône pour maintenir le niveau d'eau suffisant à cette rivière afin que la navigation pût s'y poursuivre. Une écluse permettait de franchir cet obstacle. Ce barrage de La Mulatière fut démoli lors des travaux de l'aménagement de Pierre-Bénite en 1960. On voit donc les efforts importants d'ingéniosité qu'il fallait mettre en *oeuvre pour rendre le fleuve plus accueillant pour la navigation. Bien sûr, ces travaux eurent des opposants. Des débats techniques et économiques eurent lieu. Il y avait déjà, par exemple, les tenants de canaux de dérivation qui critiquaient l’oeuvre de Jacquet et Girardon qui poursuivirent malgré tout leur travail. Ce dernier fut l'auteur d'une théorie générale sur l'aménagement des cours d'eau qui l'amena sur les bords des fleuves allemands et du Danube. L'évolution des techniques d'enrochement, et notamment la construction des épis noyés, nécessita l'existence de moyens de construction. L'un ne va pas sans l'autre. Ainsi, en 1883, les riverains du Rhône virent naviguer un étrange bateau, très long (soixante-cinq mètres), avec ses deux roues à aubes, une barre franche à commande surélevée à l'arrière, et à l'avant, une construction faisant monter et descendre une cloche à plongeur. Ce fut les premières apparitions du bateau-cloche permettant d'assurer des travaux à six mètres de profondeur dans un courant de trois mètres par seconde. Bien plus performant que les cloches à plongeur qui existaient déjà depuis longtemps. Un autre engin, encore plus étonnant, fut la drague à grappin pour l'aménagement du Bas-Rhône. Ce bateau muni d'une drague à godets était propulsé par une grande roue à grosses dents s'accrochant au fond du lit, ce qui lui donnait une grande puissance. Les découvertes aboutissant aux machines à vapeur, si elles furent porteuses de nouvelles exigences de tirant d'eau pour le fleuve, apportèrent également une puissance de travail pour y réaliser les aménagements nécessaires. Prodigieuse aventure que celle de ces ingénieurs passionnés de rivières qui voulaient les rendre navigables en les respectant et qui surent utiliser un grand défaut du Rhône pour en faire une qualité, en le faisant creuser lui-même son chenal. Mais, la technique des transports fluviaux devenait de plus en plus exigeante: à partir de 1934, le mouillage nécessaire aux nouveaux navires de commerce passe à 2,10 mètres... Or, l’oeuvre de Girardon ne donnait qu'un minimum d'un mètre soixante... Il fallut passer à une étape suivante. Ce sera l'aménagement moderne du fleuve. Nous avons évoqué les débats concernant la théorie des canaux de dérivation. Charles Lenthéric le fit en citant les promoteurs de cette solution: «En 1847, l'ingénieur Dumont émit le premier l'idée, trop grandiose peut-être pour l'époque, mais à coup sûr d'une conception puissante, d'utiliser les eaux du Rhône dérivées en un point élevé de son cours pour arroser les plaines situées sur la rive droite dans la zone inférieure.» La première fois que l'idée de canal de dérivation fut émise, ce fut pour développer l'irrigation... Ces travaux furent déclarés d'utilité publique par une loi du 20 décembre 1879. Mais, cette sanction resta toute platonique. Des variantes nombreuses furent étudiées ensuite. Au lieu de faire un seul canal de dérivation rive gauche et le faire traverser le Rhône par siphon aux environs de Valence, on eut l'idée de creuser plusieurs canaux successifs rive gauche et rive droite. Finalement, on proposa une solution morcelée de nombreux canaux de dérivation pouvant être construits de manière indépendante... Mais finalement, c'est à la navigation que se prêtera mieux la construction de canaux de dérivation.
L'AMENAGEMENT MODERNE DU RHONE.
Fin 1919, le sénateur de l'Isère Léon Perrier dépose à l'Assemblée nationale un projet de loi afin d'équiper le Rhône pour la navigation, l'agriculture et l'hydroélectricité. Cette loi est votée le 27 mai 1921. Dès l'origine, elle prévoit une liaison par canal entre le Rhin et le Rhône, et le transport par ligne à haute tension du courant produit à Génissiat. Ce n'est qu'en 1931 qu'est publié le règlement d'application de cette loi. Il fallait créer une société d'économie mixte comprenant quatre catégories d'actionnaires: le département de la Seine qui avait bien besoin d'électricité, les collectivités locales avec les chambres de commerce et d'industrie et les chambres d'agriculture, la compagnie de chemin de fer PLM, les sociétés productrices et distributrices du courant. La compagnie nationale du Rhône, la C.N.R. fut ainsi constituée en 1933 et présidée par le ministre des travaux publics (E. Daladier). Elle obtint la concession des travaux et de l'exploitation des aménagements ultérieurs. Le premier chantier, celui de Génissiat, commence en 1938. Après la guerre, le P.C.F., avec le ministre de l'énergie Marcel Paul, préconise le monopole d'EDF pour l'aménagement du Rhône. Cette position est soutenue par les cadres de l'EDF. Mais la S.F.I.O. est contre et Edouard Herriot défend la C.N.R. dont le siège est à Lyon. Finalement, alors que les ministres communistes sont évincés du gouvernement, la C.N.R. reste une société d'économie mixte (S.E.M.). Mais quelle drôle de S.E.M. qui ne comprend pratiquement pas d'entreprise privée, puisque les actionnaires privés sont nationalisés: la compagnie de chemin de fer PLM est devenue S.N.C.F. et les sociétés productrices et distributrices de courant sont devenues l'EDF. L’oeuvre accomplie par la C.N.R. est énorme, et sans aucune aide de l'Etat, avec une production d'énergie d'une puissance de 3083 MW et une productibilité de 16 742 GWh/an! Un ensemble de 463 kilomètres d'aménagements comprend 106 kilomètres de canaux de dérivation, 22 usines productrices d'électricité (avec 102 groupes turboalternateurs), 17 écluses, 27 barrages «mobiles». Le Rhône est transformé de fond en comble! De nouveaux paysages, de nouvelles pratiques, de nouveaux rapports entre le fleuve et les riverains se créent... Des zones autrefois inondables et inondées régulièrement ont été extraites de l'emprise du fleuve et transformées en zones industrielles et portuaires; bien que la lutte contre les inondations n'entre pas dans le cahier des charges de la C.N.R., les villes ont été envahies plus rarement par les eaux (cela se produit encore pour de plus grandes crues); le tirant d'eau permet aux convois poussés puissants de naviguer de Lyon à la mer; les réserves d'eau de ce grand fleuve, bien gérées, permettent l'irrigation et l'adduction d'eau potable. Pour mieux comprendre cette *oeuvre d'ensemble, descendons le fleuve du lac Léman à la Méditerranée. Les Suisses ont également voulu profiter de la prodigieuse puissance du Rhône. Ils ont construit, en aval de Genève, le barrage de Verbois, sur le lac de retenue duquel de magnifiques promenades en bateau sont offertes aux touristes, et, en collaboration avec les Français, celui de Chancy-Pougny. L'histoire de la gestion des débits fluviaux de cette région frontalière est bien complexe. L'installation d'un barrage puis de machines hydrauliques à la sortie du lac, à Genève, a conduit à rehausser le niveau de son eau à partir du dix-huitième siècle. Les Suisses commencèrent alors à maîtriser l'émissaire du lac. Lorsqu'ils installèrent une turbine, cette eau déjà précieuse le devint encore plus, car elle servait, en produisant de l'électricité, à éclairer Genève. Ainsi, la réglementation suisse a toujours défavorisé la batellerie rhodanienne, particulièrement en n'assurant pas un débit d'étiage suffisant à la fin de l'été et au début de l'automne. La fin du siècle dernier et le début de celui-ci ont vu la mise en chantier de nombreux ouvrages de production hydraulique: barrages de Bellegarde-sur-Valserine (1874), aujourd'hui noyés dans la retenue de Génissiat (1948), Chèvres-Verbois (1896), en Suisse, aujourd'hui noyé dans la retenue de Verbois (1943) et Chancy-Pougny (1924) qui existe toujours. Les installations de Bellegarde, propriété d'une compagnie anglaise, fournissait l'énergie à un véritable petit complexe industriel. Il fallait donc gérer tous ces débits en fonction de l'intérêt de chacun. Ce qui ne se fit pas sans mal et sans nombreuses et laborieuses négociations. Le barrage et la turbine actuels de Coulouvrenière commandent ainsi le débit d'eau fourni au fleuve. Ce débit sortant du lac est tributaire du débit entrant, lui-même variant avec les débits réglés par les ouvrages des énormes réservoirs du Valais Suisse comprenant, en tout, pas loin d'un milliard de mètres cube d'eau! Mais poursuivons notre voyage. Après les barrages de Verbois et Chancy, nous faisons connaissance avec celui de Génissiat, la première réalisation de la C.N.R.. C'est un barrage de retenue fonctionnant en éclusée. Ce grand barrage (plus de soixante-dix mètres de chute) retient en amont un vaste lac très allongé, car ici la vallée est très encaissée, qui a noyé les anciens barrages de Bellegarde et surtout, les merveilleuses pertes du Rhône. Ce fonctionnement en éclusées a nécessité la construction d'un barrage de réglage des débits en aval, le barrage de Seyssel. Ces deux barrages cumulent la plus grande puissance électrique du fleuve avec 440 MW. Après, plus en aval, tous les aménagements de la C.N.R. seront construits selon le même principe: un barrage dit «mobile», constitué de panneaux pouvant pivoter pour laisser passer plus ou moins de débit, retient l'eau du fleuve pour la diriger vers un grand canal de dérivation traversé par une usine qui turbine l'eau pour en faire de l'électricité. En aval de Lyon, ces usines comprennent également une écluse. La partie du canal en amont de l'usine s'appelle le canal d'amenée, la partie en aval, le canal de fuite. Souvent, la construction de digues très hautes pour ce canal rehausse considérablement le niveau de l'eau. Cela a pour conséquence de remonter le niveau de la nappe phréatique. Pour éviter ce phénomène, on creuse au pied des digues, un contre-canal, alimenté pour une part par la percolation de l'eau du canal de dérivation, et aussi, parfois, par des anciens petits affluents et, quand cela est nécessaire, par de l'eau prélevée dans le canal lui-même. L'ancien lit du Rhône, dit «tronçon court-circuité», ne contient plus qu'un faible débit, l'essentiel de l'eau étant réservée au canal de dérivation pour la production électrique (et la navigation sur le Bas-Rhône). Le premier aménagement de ce type que nous rencontrons en poursuivant notre «descente» du Rhône est celui de Chautagne, un des plus récents de la C.N.R. (1980), ce qui lui donne des qualités que d'autres aménagements ne possèdent pas, comme un débit réservé plus important pour le Vieux-Rhône court-circuité qui conserve une mobilité latérale permettant un renouvellement des biotopes, et surtout des digues submersibles permettant d'inonder progressivement le marais de Chautagne et d'alimenter le lac du Bourget, ce qui préserve un champ d'expansion des crues pour protéger les riverains en aval. Aucun aménagement C.N.R. du Haut-Rhône ne comporte d'écluses, la compagnie ayant réservé la possibilité de les réaliser pour raccorder un jour le lac Léman à l'axe Rhin-Rhône. Le barrage de Motz détourne l'eau du vieux Rhône pour l'envoyer dans le canal qui a été creusé au pied de la montagne, rive droite du fleuve, le long de la voie ferrée Culoz-Genève. L'usine hydroélectrique se trouve sur le territoire de la commune d'Anglefort. L'affluent du Rhône, le Verdet, débouche dans le contre-canal qui passe en siphon sous le canal de fuite. Lors des crues de 1990, on a constaté une aggravation non prévue des inondations en plaine de Chautagne, ce qui a conduit le Syndicat de Défense des Berges et Bordures du Haut-Rhône à faire réaliser une étude. Celle-ci montre que l'on observe un basculement en long du lit du Vieux-Rhône court-circuité. Le Rhône s'enfonce à l'aval du confluent du Fier. Les crues creusent le lit en amont de l'aménagement (au pied du barrage de retenue) et elles comblent la partie aval par dépôt des charges exceptionnelles apportées. Des travaux sont nécessaires pour rétablir le lit du fleuve pris de cette ivresse. Sorti de cet aménagement, nous entrons dans la retenue de l'aménagement suivant qui longe le marais de Lavours: l'aménagement de Belley (1981). Le débit du canal de Savières, magnifique petite voie d'eau champêtre qui relie le vieux Rhône au lac du Bourget en partant de la commune de Chanaz, au pied du barrage de retenue, est réglé par un petit barrage annexe afin, en décrue, de contrôler le niveau du lac du Bourget. Le canal d'amenée se sépare du Rhône non loin du petit village de Lavours en s'en écartant beaucoup, car il lui faut contourner une montagne, traverse la marais de Cressin, coule à quelques encablures de Belley pour se heurter à l'usine (toujours sans écluse) de Brens. Le canal de fuite rejoint alors le Vieux-Rhône deux kilomètres plus en aval. Un affluent, le Sérah, passe sous le canal d'amenée par un siphon pour continuer à alimenter le tronçon court-circuité. Celui-ci, le Vieux-Rhône, après s'être séparé du canal à Chanaz, poursuit sa route divaguante comportant encore de nombreuses lônes, se heurte à un seuil à Lucey, passe à proximité de Yenne, trouve un nouveau seuil et traverse ensuite le très beau défilé de Pierre-Châtel, non loin de La Balme. Après quelques kilomètres de Rhône naturel, nous entrons dans l'aménagement de Brégnier-Cordon (1983). Le fleuve descend vers le sud jusqu'au confluent du Guiers où il remonte vers le nord. La C.N.R. lui fait prendre un raccourci. Le barrage de retenue de Champagneux dirige l'essentiel du débit, vers la rive droite, dans le canal d'amenée qui le conduit, par un parcours sinueux (ce qui est rare pour un canal de dérivation...) jusqu'à l'usine. Le Vieux-Rhône, est presque resté égal à lui-même: tout en tresses, lônes et îles, il serpente, divague, contourne, flâne jusqu'à retrouver, bien plus loin, le canal de fuite. Il coule alors longtemps seul et presque sauvage jusqu'à Sault-Brénaz où un nouveau barrage de retenue dirige presque toute son eau vers un canal de dérivation creusé rive gauche cette fois, très court celui-là, puisqu'il n'a que deux kilomètres de longueur. Cet aménagement est le plus récent puisqu'il date de 1986. Puis, le Rhône redescend vers le sud pour retrouver Lyon. Il accompagne la rivière Ain qu'il rejoint une vingtaine de kilomètres plus au sud, après le village de Loyettes. La C.N.R. avait un projet d'aménagement à cet endroit, artificialisant complètement le confluent. Ce projet donna lieu à de fermes oppositions qui le firent repousser à une date non déterminée. Le fleuve s'approche de Lyon en se séparant en trois parties: le canal de Miribel au nord, le vieux Rhône au centre, et le canal de Jonage au sud. Tous se retrouvent au nord de Lyon à La Feyssine. Cet ensemble de Miribel-Jonage n'est pas l’oeuvre de la C.N.R.. Il est beaucoup plus ancien. Il fut terminé en 1899 et l'EDF en a la concession. Cette concession est à renouveler et l'enquête publique a eu lieu en 1994. Cette partie du fleuve, complètement artificielle, est devenue une zone naturelle aux portes de la ville, car, avec les années, la nature y a repris ses droits. Elle comprend, notamment, la zone de captage d'eau potable de l'agglomération lyonnaise (Crépieux-Charmy). On l'a vu, les travaux du canal de Miribel furent commencés en 1848. Ils s'achevèrent en 1857. Un barrage et une digue divisoire furent installés en amont du canal de l'époque, en face du village de Thil. Le canal de Jonage, terminé en 1899, comprend, au milieu de son cours, un plan d'eau appelé le Grand-Large, réserve d'eau prévue pour alimenter l'usine hydroélectrique de Cusset plus en aval. Cette usine comporte deux écluses qui n'ont jamais servi, la navigation empruntant le canal de Miribel. En 1937, fut construit le barrage de retenue de Jons en amont de ce canal, afin de remonter le niveau du Rhône et de l'ensemble de Jonage. En effet, depuis 1858, on constatait le basculement du lit du canal de Miribel, celui-ci, de la même manière que le Rhône en Chautagne, se creusait au pied du barrage de Thil et se comblait en aval. On crut trouver la parade lors de la construction du canal de Jonage. Mais on s'aperçut que les débits baissaient dans ce dernier pour renforcer ceux du canal de Miribel. La construction du barrage de Jons devint alors nécessaire pour assurer un débit suffisant à l'usine de Cusset sur le canal de Jonage. à partir de Saint-Clair, au nord de la ville, le Rhône est parfaitement endigué. Certains de ses quais servant au stationnement des voitures et même à la circulation. Nous avons vu comment fut aménagé le parc de la Tête-d'Or à partir des lônes et marais du fleuve (les brotteaux en Lyonnais). Aujourd'hui, avec la collaboration de la C.N.R, la ville de Lyon a aménagé ses berges dans la zone amont comprise entre le confluent des canaux de Miribel et Jonage et le pont Winston Churchill. Ces aménagements consistent en un profilage et recalibrage des berges, la construction d'un seuil au travers du lit à Saint-Clair permettant de maintenir le niveau de la nappe de la zone de captage de Crépieux-Charmy et une écluse au gabarit Freycinet pour le passage des bateaux de plaisance. Tout endigué, le fleuve rencontre la Saône à La Mulatière. Rive gauche, il longe alors le port Edouard-Herriot, vaste concentration de dépôts d'hydrocarbures et gaz liquéfiés. Nous sommes déjà dans l'aménagement de Pierre-Bénite (1966). L'usine-écluse est implantée en extrême amont du canal de dérivation (rive gauche du Vieux-Rhône). Le canal d'amenée est inexistant, le canal de fuite occupant toute la longueur de la dérivation. Le barrage est situé sur le Vieux-Rhône en aval de l'usine-écluse. La C.N.R. a fait un énorme effort paysager sur cette aménagement. L'île située entre l'écluse et la retenue, l'île des Peupliers, est aménagée en parcours sportif et refuge pour les oiseaux Les berges du canal de fuite ont été réhabilitées avec enrichissement de la végétation, constitution de frayères et aménagements pour le public. Ces travaux sont consécutifs à un accord de partenariat entre la C.N.R. et les communes de Pierre-Bénite et Saint-Fons. Le fleuve court-circuité retrouve le canal de dérivation à Ternay. Puis, après un de ses plus beaux méandres, à Givors, commence l'aménagement de Vaugris. L'emplacement de cet ouvrage qui lie en un seul ensemble, barrage, usine et écluse, fut prévu d'abord en amont de Vienne, à Estressin. Mais, finalement, il fut construit à Vaugris, juste en aval de la ville romaine. Sa mise en service date de 1981. Ici, donc, il n'y a pas de canal de dérivation. L'aménagement suivant, celui de Péage-de-Roussillon, retrouve une configuration classique : barrage qui envoie le débit principal dans un canal de dérivation creusé en rive gauche. L'usine écluse, cette fois, est située très en aval du canal, après la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne. La chute suivante (la C.N.R. appelle ces aménagements des «chutes»), celle de Saint-Vallier (1971), classique également, permet de voir dans le lit du Vieux-Rhône de magnifiques témoignages des «carrés» (digues et épis) de l'ingénieur Girardon. Le canal de dérivation est très court (3,5 kilomètres) car la vallée est ici très étroite (le défilé de Saint-Vallier) et il fallait préserver des vignobles prestigieux (Hermitage et Crozes). L'aménagement suivant, celui de Bourg-lès-Valence (1968), classique aussi, se distingue néanmoins par le fait que l'Isère rejoint désormais le canal de dérivation qui coule jusqu'à l'usine-écluse située en amont immédiat de Valence. Le barrage de l'Isère empêche son puissant débit de couler dans le Vieux-Rhône par l'ancien lit de l'affluent au confluent avec le fleuve. Et quand la crue survient, ce barrage mobile permet d'en évacuer une partie dans le tronçon court-circuité. Une fois Valence passée, l'entrée de l'aménagement de Beauchastel longe le nouveau port de l'Epervière, en aval duquel pourrit lentement le dernier rescapé des anciens toueurs du Rhône. La configuration des lieux obligea la C.N.R. à réaliser le canal de dérivation en rive droite. Cette chute réalisée en 1963 est la seule dans ce cas sur le Bas-Rhône. Le temps de longer la réserve naturelle de Printegarde sur la rive gauche, de croiser la Drôme dont le confluent est complètement bétonné, le fleuve se sépare de nouveau en deux bras, l'un artificiel en rive gauche, le canal de dérivation de l'aménagement de Baix-le-Logis-Neuf (1960) et le Vieux-Rhône qui rase la montagne de l'Ardèche. Puis, c'est l'aménagement de Montélimar (1957) dans lequel le Roubion passe par siphon sous le canal de dérivation pour rejoindre le Vieux-Rhône. Le fleuve entre alors dans le défilé de Donzère avant la chute de Donzère-Mondragon, le premier en date des aménagements du Bas-Rhône (1952). Il comprend le plus long canal de dérivation: 28 kilomètres. L'écluse resta pendant longtemps celle qui comporte la dénivellation la plus importante : 26 mètres. Son remplissage et sa vidange se réalisent en sept minutes seulement! Pour l'expérimenter, la C.N.R. a construit spécialement un bateau, le Frédéric Mistral. Ce fut le président Edouard Herriot qui essaya cette écluse sur ce bateau le 25 octobre 1952. Un autre président emprunta le même bateau pour essayer une autre écluse, celle de Pierre-Bénite en 1962, Vincent Auriol. à Donzère-Mondragon, canal de fuite et Vieux-Rhône se rejoignent à l'île Saint-Georges, avant d'arriver à la chute de Caderousse (1975) puis d'Avignon (1973). Ici, de tous temps, le fleuve se séparait en de nombreux bras, mais l'essentiel du débit se séparait en deux, par le bras d'Avignon et le bras de Villeneuve. Ce dernier est court-circuité par un court canal de dérivation, le barrage de Villeneuve y déviant l'essentiel du débit. Juste après la séparation des deux bras, le barrage de Sauveterre régule le débit du bras d'Avignon. En aval immédiat d'Avignon, après que les deux bras du Rhône se sont rejoints, le fleuve rencontre la Durance dans un confluent là aussi bétonné, créant une presqu'île, La Courtine, aménagée en zone industrialo-portuaire, mais éventuellement soumise aux risques d'inondations, non pas du Rhône, mais de la Durance. Les digues de celle-ci réalisées en amont de celles de la C.N.R. étant moins efficaces, la rivière pourrait les contourner et envahir les lieux. Dernier aménagement du fleuve, celui de Vallabrègues, où canal de fuite et Vieux-Rhône se serrent l'un contre l'autre pour passer entre Beaucaire et Tarascon. La C.N.R. a dû creuser profondément le lit du fleuve entre Beaucaire et Arles pour abaisser le niveau du fleuve, c'est le Palier d'Arles. A Beaucaire, le canal du Rhône à Sète rejoint le fleuve. Ce canal est également relié au Petit-Rhône, en Camargue, par l'écluse de Saint-Gilles. Le canal d'Arles à Port-de-Bouc longe le Grand-Rhône. Ce canal est relié au fleuve par le canal du Rhône à Fos-sur-Mer qui le rejoint à proximité du bac de Barcarin.
Aménagements de la compagnie nationale du Rhône sur le fleuve.
H = hauteur de chute en m; P = puissance en MW; L = longueur totale de l'aménagement en kms; U = nombre d'usines; E = nombre d'écluses; B = nombre de barrages; Année = date de mise en service
|
|||||||||
Aména-
|
H |
P |
L |
U |
E |
B |
Année |
||
Haut-Rhône: |
|||||||||
Génissiat-Seyssel |
74,35 |
445 |
28 |
2 |
0 |
2 |
1948-51 |
||
Chautagne |
15 |
90 |
14,4 |
1 |
0 |
1 |
1980 |
||
Belley |
15,05 |
90 |
19,7 |
1 |
0 |
2 |
1981 |
||
Brégnier-Cordon |
11,4 |
74 |
19,2 |
1 |
0 |
1 |
1983 |
||
Sault-Brénaz |
7,6 |
40 |
30 |
1 |
0 |
1 |
1986 |
||
Cusset (EDF) |
12,2 |
107 |
23,3 |
1 |
3 |
2 |
1899 |
||
Bas-Rhône: |
|||||||||
Pierre-Bénite |
8 |
80 |
15 |
1 |
1 |
1 |
1966 |
||
Vaugris |
5,7 |
72 |
19,5 |
1 |
1 |
1 |
1980 |
||
Péage-de-Roussillon |
12,25 |
168 |
27 |
1 |
1 |
1 |
1977 |
||
Saint-Vallier |
9,8 |
120 |
23,5 |
1 |
1 |
1 |
1971 |
||
Bourg-lès-Valence |
10,1 |
180 |
21 |
1 |
1 |
2 |
1968 |
||
Beauchastel |
11,4 |
192 |
17,5 |
1 |
1 |
1 |
1963 |
||
Baix-Le-Logis-Neuf |
10,1 |
192 |
18 |
1 |
1 |
1 |
1960 |
||
Montélimar |
16,05 |
270 |
22 |
1 |
1 |
1 |
1957 |
||
Donzère-Mondragon |
20,7 |
330 |
32 |
1 |
1 |
3 |
1952 |
||
Caderousse |
8,3 |
180 |
16 |
1 |
1 |
1 |
1975 |
||
Avignon |
9 |
180 |
20 |
2 |
1 |
2 |
1973 |
||
Vallabrègues-Arles |
10,5 |
210 |
78,5 |
1 |
2 |
1 |
1970-74 |
||
TOTAL |
272,35 |
3042 |
424,1 |
21 |
13 |
26 |
|||
(source C.N.R.)
|