LA NAVIGATION


Ce nouveau voyage le long du fleuve nous a fait mieux connaître son aménagement actuel qui permet la navigation de convois poussés de trois mille à cinq mille tonnes et, à l'avenir, avec la construction de nouvelles écluses, des convois de dix mille tonnes. Cela est l'aboutissement d'une longue histoire, celle de la navigation sur le fleuve, histoire d'un combat entre l'homme et le puissant cours d'eau.

La vallée du Rhône fut toujours le chemin des peuples et des nations. Dès la plus haute antiquité, les Grecs massaliotes (de Marseille) utilisèrent la voie fluviale, par terre ou par eau, pour leurs échanges commerciaux avec les contrées du nord. Le système fluvial français à mailles très serrées permettait, avec de faibles transbordements, de transporter des marchandises sur l'eau du nord au sud de l'Europe. Charles Lenthéric affirme, dans son ouvrage sur le Rhône (1892), que «la mer, «cette route gratuite et éternelle», et les fleuves, «ces chemins qui marchent», dont la descente s'effectue sans effort et qu'un halage rudimentaire permet de remonter sur une grande partie de leur cours, ont été, pendant de longs siècles, les seules voies suivies par le commerce. (...) Le déplacement de la civilisation vers l'occident a été la grande oeuvre des peuples navigateurs.»

Hannibal (219 avant Jésus Christ), avec ses armées de mercenaires, accéda à la vallée du Rhône par un affluent, le Gard, remonta le fleuve en rive droite, le traversa entre Arles et Loriol (nul ne sait où...), continua vers le nord en rive gauche et emprunta la vallée de l'Isère pour traverser les Alpes. Ainsi, dès l'antiquité, la vallée du Rhône servit de liaison avec l'Italie par les Alpes...

«La grande route qui pénétrait au coeur de la Gaule s'embranchait à Arles même, sur le Rhône, au point où la voie Aurélienne se soudait à la voie Domitienne. Elle remontait la vallée (..), se maintenait toujours sur la rive gauche jusqu'à Lyon; et il eût été d'ailleurs difficile qu'elle pût s'écarter sensiblement de ce sillon naturel, si nettement tracé en ligne droite entre deux rangées de collines souvent abruptes et très rapprochées.»

On trouve trace de navigation sur le Rhône dans la plus lointaine antiquité. Ainsi, la légende des Argonautes situe une partie de leurs aventures sur le Haut-Rhône.

Les bateaux descendaient en utilisant le courant et remontaient par le halage avec la force musculaire des hommes et des bêtes de trait. Les hommes furent longtemps préférés aux animaux, car il était plus facile aux premiers de traverser le fleuve quand il fallait passer d'une rive à l'autre et l'attelage de chevaux ne fut suffisamment efficace qu'à l'époque moderne. A l'époque gallo-romaine, les Nautes rhodaniens constituaient une caste de navigateurs qui exerçaient d'Arles à Seyssel. Ces élites commerciales, riches et aventureuses, utilisaient les esclaves pour le halage. On appelait les Nautes du Rhône et de la Saône «Le Corps Splendide». C'est que la navigation était dure à cause du fleuve et de ses fantasques, mais aussi à cause des dangers provenant de la cupidité des hommes. Le parcours fluvial était plus sûr, car la voie de terre était soumise aux attaques et brigandages de voleurs et rançonneurs. Ces derniers étant le plus souvent les seigneurs dont le vol et la guerre était la principale occupation. Ainsi, a-t-il fallu que le seigneur de Chastel dépassât les bornes pour que Louis IX, descendant le Rhône pour la septième croisade, fît raser le château de La-Roche-de-Glun.

Donc, durant tous ces siècles mouvementés, la route fluviale fut préférée à la route terrestre beaucoup moins sûre. Encore qu'à la remonte, les embarcations devenaient bien vulnérables. Charles Lenthéric indique dans son ouvrage sur le Rhône (1892) que «dans les temps anciens, le régime du fleuve était moins torrentiel, qu'il y avait un peu plus de profondeur sur les bancs de gravier, et que, par suite, les conditions générales de navigabilité étaient sensiblement meilleures. On sait cependant que non seulement la vallée du Rhône, mais surtout toutes les vallées latérales, aujourd'hui si tristement déboisées, étaient à peu près couvertes d'un immense manteau de végétation forestière que César appelait si bien «magnitudo silvarum»; que l'écoulement des eaux dans toutes les gorges, dans tous les affluents du fleuve, aujourd'hui torrentiels comme lui, avait lieu d'une manière beaucoup plus régulière; que le niveau général des eaux moyennes, et surtout des basses eaux, était un peu plus relevé; (...) il existait une batellerie très bien organisée sur les rivières de l'Ardèche, de l'Ouvèze et surtout de la Durance, qui sont aujourd'hui absolument «innavigables». (...) On devait trouver (toujours) presque partout un mouillage de près d'un mètre.»


Mais, dès le Moyen Âge, avec un fort courant, l'irrégularité de ses fonds et de son débit, le tirant d'eau insuffisant, les passages en tresses (le fleuve faisant des «mains d'eau» comme disaient les mariniers), le Rhône imposait aux embarcations une architecture particulière. Un fond plat d'abord, à cause des basses eaux et des rapides, une armature très solide pour le maintien de l'arbousier, petit mât sur lequel était fixé le câble de halage, un grand gouvernail pour mieux se diriger dans un courant violent et une proue relevée en berceau pour résister le moins possible au courant. On utilisait surtout le bois de sapin, et, dans une moindre mesure, de chêne. A Seyssel, on construisit des bateaux jusqu'à la disparition de la navigation sur le Haut-Rhône. Le type de bateaux construits s'appelait Seysselande ou Ceyselande. On transportait également le bois sous forme de grands radeaux, redoutés par les navigateurs particulièrement en remonte... Ces bateaux, qu'on appelait donc seysselandes, mais aussi, savoyardes, sapines, penelles, coches, rigues, ratamares n'étaient pas très grands: six à trente-six mètres de long. Les petites barques étaient appelées barcot.

Avec le développement industriel, surtout à partir des quinzième et seizième siècle, la navigation se développa également de manière industrielle. Ce fut l'époque des équipages lorsque le halage par les chevaux et les boeufs remplaça définitivement le halage par les hommes, ces derniers continuant à tirer seulement les petites embarcations.

Guy Dürrenmatt, dans son ouvrage «La Mémoire du Rhône» cite L. Ménétrieux: «Une petite armée de quarante, cinquante hommes vigoureux, forts comme des athlètes, était nécessaire pour chaque équipage qui se composait de trente, cinquante et parfois quatre-vingts chevaux ou boeufs chargés de tirer et de remonter ces longs convois de barques liées les unes aux autres par d'énormes cordages.

Trois de ces câbles de chanvre étaient indispensables pour chaque équipage qui transportait plus de mille cinq cents tonnes de marchandises. L'un d'eux, la «maille», dont le diamètre était d'au moins dix centimètres, s'attelait à six coubles de quatre chevaux chacun, soit vingt-quatre chevaux. C'était le «ça devant».

Ces chevaux qui portaient chacun leur nom en fonction de la place qu'ils occupaient dans la couble faisaient la fierté des équipages qui les paraient de magnifiques atours. Le prouvier (celui qui se tient à la proue) se tenait sur la première barque (la capitane) et sondait la profondeur de l'eau avec le pan. «A pleins poumons, il criait tantôt «passe à quatre doigts», c'est-à-dire presque pas d'eau. Il fallait alors faire marche lente ou s'arrêter; tantôt, «pan bien juste» il fallait être prudent; «pan» tout allait bien; «pan couvert» encore plus d'eau; «pan lourd» marche libre; «pan et demi» eau avantageuse ou «pan à demi--out»; à partir de cette hauteur, on arrêtait de sonder. Sur la barque capitane, outre patron et prouvier, il y avait le conducteur dont la mission consistait à faire la comptabilité et la correspondance, à payer les dépenses.

Chacune des barques suivantes avait son patron assisté de mariniers.

A terre, le patron de terre, responsable des chevaux et des boeufs, était assisté de bayles ou seconds patrons et de charretiers ou mariniers de terre, chargés de la conduite des coubles. Leur fond de pantalon souffrait des heures et des heures passées sur le dos des chevaux et ils portaient des pantalons avec des fonds de cuir; on les appelait pour cela des «culs de piaux».

Imaginons la scène grandiose: un convoi de barques sur plusieurs centaines de mètres tirées sur le chemin de halage par une horde de chevaux bien ordonnée, les ordres donnés par le prouvier repris d'une barque à l'autre: «pousse au riaume!» ou «pousse à l'empi». Les charretiers criaient après leurs montures. La navigation demandait un éveil des sens de tous les instants, une connaissance du fleuve, de son chenal qui variait d'une saison à l'autre, de ses bras et de ses courants. Un travail collectif très dur et chacun jouait un rôle essentiel dans les manoeuvres de transport des richesses, dirigées d'une poigne de fer par les deux patrons. Le chemin de halage n'était pas toujours sur la même rive en fonction de la disposition des berges. Il fallait alors faire traverser le fleuve à tous les chevaux. Ils «culassaient» dans deux barques qui leur faisaient traverser le fleuve. Le coursier transportait alors sur l'autre rive la forte maille encore accrochée à l'équipage. De l'autre côté, on remettait tout en ordre pour poursuivre la remonte. Lors de la décize (descente), les chevaux étaient transportés dans la deuxième barque de l'équipage appelée «la civardière». Les passages difficiles étaient nombreux.

Cette méthode de navigation fut rapidement supplantée par la découverte de la machine à vapeur.

Contrairement aux états-Unis où les chemins de halage n'existaient pas, en France, la tradition du halage influença au début la technique de la navigation à vapeur. On installa la machine sur le bateau qui tirait sur un câble fixé sur la rive. Ce fut l'invention du touage par l'Abbé d'Arnal (1733-1801). Mais cette idée ne fut jamais appliquée de son vivant. Il faudra pour cela attendre les années 1820, pour qu'à Givors, Tourasse expérimentât cette technique, après le succès de son expérience de premier toueur sur la Saône en 1821. Marc Seguin fit plusieurs tentatives de «halage par la vapeur à des points fixes sur le Rhône» et créa la société du même nom. Mais, comme l'indiquent Bernard Escudié et Jean-Marc Combe dans leur ouvrage «Vapeurs sur le Rhône»: «L'affaire des bateaux Seguin, bien que riche en événements éphémères, ne constitue qu'un épisode peu important dans l'histoire de la navigation à vapeur sur le Rhône.» Sa société meurt en 1828... D'autres méthodes furent utilisées, comme le remorqueur grappin de Claude Verpilleux (1798-1875) qui fonctionna le 25 juin 1840. Dans ce bateau, la machine à vapeur entraîne une grande roue à dents qui s'appuie sur le fond du lit du fleuve pour propulser l'embarcation.

Le touage fonctionna sur la Seine, le Danube et divers canaux, ce qui montra à certains que ce procédé pouvait être appliqué au Rhône, à condition que celui-ci offrît un chenal plus régulier et un tirant d'eau minimum. Nous avons vu que ce fut le cas après 1878. Mais les projets tardèrent encore à se réaliser. Un toueur à chaîne fut expérimenté au sud de Lyon. Les entreprises chargées de la réalisation des digues et épis de l'aménagement du fleuve furent intéressées par ce système particulièrement adapté à la lutte contre le fort courant du fleuve. Plusieurs machines furent utilisées localement dans le Bas-Rhône. Mais, si le touage fut utilisé jusqu'en 1936, il ne fut jamais utilisé à grande échelle pour le transport des marchandises et des personnes. Comme le soulignait L. Jacquet dans un rapport, il aurait fallu pas moins de vingt-huit toueurs d'Arles à Lyon... Le toueur avait une silhouette typique: la proue était inclinée vers le bas pour laisser le champ libre au câble de touage dirigé par des galets fixés à l'avant. Le navire toueur était un remorqueur. Il tirait donc plusieurs barques touées distantes de cinq à six mètres entre elles, reliées par des calomes croisées. La manoeuvre d'un tel ensemble esclave de sa chaîne n'était pas aisée et demandait une technique particulière. Un toueur fut maintenu en activité dans le défilé de Donzère jusqu'en 1970. Son épave est encore visible au port de l'épervière à Valence...

Mais d'autres techniques contribuèrent à développer la navigation à vapeur sur le Rhône.

Cette navigation dépendait avant tout des techniques de la machine à vapeur elle-même, et à cause de cela, la navigation à vapeur sur le Rhône joua de malchance. En effet, le 4 mars 1827, le vapeur baptisé Le Rhône explosa à Lyon, près du pont de La Guillotière! La technique de production d'énergie mécanique par la vapeur n'était pas encore au point. Avec la mise au point de la chaudière tubulaire par Marc Seguin en 1828, la navigation à vapeur put renaître sur le Rhône.

Un nouveau bateau sortit des chantiers de Vaise, à Lyon, le 2 juin 1829. Il s'appelait Le Pionnier. Le 7 juillet de cette même année, un voyage d'essai fut réalisé. La décize de Lyon à Arles se fit aisément en douze heures de navigation. Ce fut donc un succès. Mais, hélas, il en fut tout autrement de la remonte. Chargé à Arles de mille six cents quintaux de marchandise, Le Pionnier mit quatre-vingt-quinze heures pour atteindre Lyon, arrêts décomptés! Il avait même fallu faire appel à la traction animale pour plus de la moitié du voyage... Le Pionnier ne vécut qu'un an. Ce n'est que durant les années 1843 et 44 que naquirent vraiment les grands porteurs rhodaniens, dus à l'innovation décisive de François Bourdon (1797-1865). Ces grands navires de soixante-quinze à cent trente-sept mètres de long, comme Le Creusot, Le Mississipi, Le Missouri, L'Althen, Le Talabot, seront construits au Creusot. Quelques années plus tard, certains de ces bateaux, comme L'Océan et Le Méditerranée, atteindront cent cinquante-sept mètres de long! On les appelait «aiguille» ou «anguille», car leur souplesse leur permettait une déformation d'une amplitude d'un mètre. Très longs pour mieux flotter sur le faible tirant d'eau du fleuve Rhône, ils transportaient passagers et marchandises. Le gouvernail était commandé par une énorme barre qui obligeait le pilote, le patron du bateau, à se tenir sur une plate-forme surélevée à l'arrière.

Voyons comment Mistral décrit un bateau à vapeur qui causera la perte de l'équipage du patron Apian:


Soudain s'élève, dans le lointain du nord,

un sourd bourdonnement. à l'horizon

il se perdait, puis bourdonnait encore,

comme le clapet d'un moulin farouche

qui serait descendu par la rivière.

Puis c'était une toux absconse

qui augmentait toujours, toux saccadée,

comme on eût dit d'un taureau, d'un dragon

suivant de l'archipel les sinuosités.

Puis un ébranlement subit remua l'onde,

faisant sursauter la batellerie, pendant qu'en amont un flot de fumée

obscurcissait le ciel: et derrière les arbres

apparut tout d'un coup, fendant le Rhône,

un long bateau à feu. Tout l'équipage

redressa les bras, à l'aspect du monstre.

En poupe, Maître Apian, devenu pâle,

regardait muet la barque magique,

la barque dont les roues battaient comme des griffes,

et qui soulevait des vagues énormes

et formidablement fonçait sur lui.


Mais finalement, le remorqueur, successeur du toueur, remplaça les gros porteurs.

Les remorqueurs à aube naviguèrent ainsi sur le fleuve jusqu'après la deuxième guerre mondiale. Mais, si l'efficacité de la machine à vapeur permit de développer la navigation fluviale elle fut également la base de l'essor d'un autre moyen de transport qui la concurrença mortellement : le chemin de fer. Le 16 avril 1855, la voie ferrée assure une continuité de Lyon à Marseille. Devant ce danger, cinq compagnies de navigation fusionnent et créent la Compagnie Générale de Navigation. Elle transporte 630 000 tonnes de marchandises et 200 000 voyageurs de Lyon à Arles. C'est l'âge d'or de la navigation fluviale. La compagnie de chemin de fer PLM (Paris-Lyon-Marseille) mit tous les moyens en oeuvre pour s'imposer aux dépens de la navigation. Cette compagnie était née le 11 avril 1857 de la fusion des sociétés Paris-Lyon et Lyon-Marseille. Pour faire face à la concurrence de la voie ferrée, la C.G.N. met en service des bateaux voyageurs à aubes articulées. Ces bateaux, appelés Gladiateurs, comportaient salons, fumoirs et cabines. Mais ils ne résistèrent pas à la concurrence du chemin de fer et arrêtèrent leur activité en 1905.

Le voyage en chemin de fer était plus régulier, plus sûr et moins cher.

Le drame débuta en 1854-1855 lorsque fut terminée la voie de chemin de fer parallèle au Rhône. Le tonnage moyen des marchandises transportées par le fleuve s'effondra. Or, à l'origine, comme les routes qui étaient conçues comme liaisons entre les fleuves, le chemin de fer devait jouer le même rôle. Ainsi, la batellerie, grâce à la «Gare d'eau» de Givors, gardait le monopole du transport du charbon du Forez. Celui-ci était amené en train jusqu'à Givors où il était embarqué sur bateau. Mais, en 1857, lorsque fut construit le pont de la Méditerranée qui relie la voie ferrée d'une rive à l'autre, le déclin devint irréversible. De près de 600 000 tonnes en 1855, le fret fluvial est passé à 200 000 tonnes en 1869. Et cela, pendant la période du plein développement de l'aménagement fluvial pour la navigation... Pour certains, les tractations entre compagnies fluviales et de chemin de fer ne servaient à la voie ferrée qu'à mieux étouffer la navigation. «Si la navigation à vapeur est destinée à disparaître, qu'importe à l'intérêt public qu'elle disparaisse par suite d'une lutte ruineuse ou par une transaction», écrit Talabot au Ministre Magne en 1853. Il était concessionnaire d'une ligne de chemin de fer rhodanienne. Par une habile politique tarifaire, le chemin de fer fit une concurrence impitoyable à la navigation fluviale.

Dans le domaine du transport des marchandises, le transport fluvial ne devint vraiment compétitif qu'avec le passage au grand gabarit. Mais, une fois de plus, un autre grand concurrent fait actuellement obstacle à son développement: l'autoroute et ses convois de camions.... Les gros porteurs actuels, autopropulseurs fonctionnant au moteur diesel et surtout les gros pousseurs de convois de quatre mille tonnes, autorisés à naviguer par le tirant d'eau que permirent les aménagements de la C.N.R. à partir des années soixante, ont aujourd'hui remplacé les remorqueurs à aubes. La C.N.R. a prévu la possibilité aux convois poussés de huit mille tonnes de naviguer sur le Rhône. Le fleuve accueille également les grands bateaux fluvio-maritimes qui naviguent indifféremment sur mer et sur l'eau douce.



Trafic fluvial rhodanien


Années

1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

Tonnage
en millions

de tonnes * km

338

370

330

434

452

480

543

Tonnage en millions de tonnes chargées

4,2

3,7

3,7

4

4,4

5

4

(source C.N.R.)


Implantations industrielles et portuaires

(en ha)


1986

1987

1988

1989

1990

1991

1992

147

166

185

204

225

247

250

(source C.N.R.)



Répartition du trafic par type de bateaux


Flotte

Tonnage

Flux

Distance moyenne

Automoteurs du Rhône

42,4 %

43,9 %

157 km

Convois poussés

30,1 %

35,5 %

253 km

Automoteurs de canaux

6,2 %

3,5 %

85 km

Navires fluvio-maritimes

13,1 %

17,1 %

195 km

Cargos maritimes

8,2 %

-

5 km

(source C.N.R.)


Navigation de plaisance

(nombre de passages aux écluses)


Année

Pierre- Bénite

Beaucaire

1972

641

825

1978

1030

1349

1984

1611

2037

1990

2229

2629

1992

2107

2628


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Sur le Haut-Rhône, nous l'avons vu, les usines hydroélectriques de la compagnie nationale du Rhône ne comportent pas d'écluse. La navigation pour le transport de marchandises n'est pas possible. Seule la navigation de plaisance peut se pratiquer, un système de passage de l'usine par la terre permettant aux bateaux légers de poursuivre leur route. Une navigation touristique existe entre Seyssel et le lac du Bourget par le canal de Savières.

Sur cette partie du fleuve en amont de Lyon, l'histoire de la navigation fut encore plus compliquée qu'en aval et ne connut pas le même développement. Les débits du Rhône sont plus faibles, les crues plus fréquentes. En-dessous de cinq cents mètres cube par seconde et au-dessus de mille cinq cents (les chemins de halage étaient alors noyés) la navigation n'était pas possible. Ainsi, en 1884, le transport fluvial ne fut régulier que durant les mois de juillet et août. Les tirants d'eau étaient plus faibles qu'en aval: quarante et un centimètres seulement au confluent avec le Furan! Très en amont, avant Bellegarde, les célèbres pertes du Rhône, aujourd'hui définitivement perdues au fond de la retenue de Génissiat, empêchaient tout passage de transport flottant. Plus en aval, les bateaux pouvaient circuler, mais, les rapides de Sault constituaient un obstacle difficile. Ainsi, le village de Sault-Brénaz était un point de rupture de charge obligatoire. Toute une activité économique bouillonnait autour du port de la Meuille: chantier de construction de bateaux, relais de chevaux, rassemblement des pierres de taille extraites des falaises calcaires qui dominent le fleuve en amont.

Le trafic marchandise n'existait pratiquement qu'entre Sault et Lyon où il était interrompu au pont Morand. En moyenne annuelle, deux cent mille tonnes de marchandises étaient déchargées à Lyon. On transportait essentiellement de la pierre de taille et de la chaux fabriquée à partir de cette pierre dans les nombreux fours à chaux de la vallée. Le flottage était très important et de nombreux radeaux descendaient au fil du courant. Au début du dix-neuvième siècle, le Haut-Rhône était surtout un fleuve de décize. Rappelons que c'était à Seyssel et Artemare que radeaux et savoyardes étaient fabriqués.

Ici aussi, la navigation à vapeur prit le relais. Jusqu'en 1845, trois petits bateaux de fer à aubes transportèrent quinze mille passagers et quatre cent cinquante tonnes de fret composé essentiellement de sel dont la compagnie avait le monopole du transport. Mais le sel rongea la coque et les bateaux furent inutilisables.

Le transport de voyageurs fut prospère de Lyon à Aix jusqu'en 1888. Mais là aussi, le chemin de fer condamna le transport fluvial. La voie ferrée Lyon-Culoz mise en service en 1857 fit disparaître les transports fluviaux. Un seul bateau voyageur restait en activité en 1860 et s'arrêta en 1888.


Tous les chantiers de construction de bateaux implantés le long du fleuve de Seyssel à Port-Saint-Louis avaient besoin de bois. Celui-ci, du sapin, du pin ou du chêne, provenait des régions du Haut-Rhône. L'approvisionnement se faisait par flottage, sur le Rhône lui-même ou sur plusieurs de ses affluents. Mais, sur le fleuve, il fallait assembler les troncs et construire ainsi de grands radeaux, guidés par deux gouvernails à l'avant et à l'arrière et par des rames latérales spéciales, les picons. L'engin était construit à l'étiage sur le sec et on attendait la montée des eaux pour partir. Les pilotes de ces constructions éphémères s'appelaient des radeliers ou radeleurs. Ces assemblages très peu maniables étaient la terreur des mariniers. Le pire qui pouvait arriver à un convoi en remonte était de rencontrer un radeau en décize...

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Les procès-verbaux de justice sont intéressants à consulter pour connaître les périls auxquels étaient soumis les mariniers. Claude Bonnard a recueilli un certain nombre de ces procès-verbaux sur les mariniers du Rhône. Parcourons en quelques-uns ainsi que les archives recueillies par Louis Vignon dans son monumental «Annales d'un village de France: Charly, Vernaison».

Le 15 décembre 1722, à Lyon.

Une crue du Rhône emporte un moulin à Saint-Clair, moulin qui a entraîné ceux qui sont vis-à-vis de l'Hôpital et ceux de la Charité au nombre de 13 qui sont presque tous échoués et rompus.

Le 16 mai 1736,

La barquette de Vienne a péri et a échoué contre les moulins de la quarantaine. Quarante noyés...

Le 28 avril 1762, Vernaison.

Le moulin de Vernaison est fracassé par une voiture fluviale (bateau chargé de pierres de taille faisant la navette entre Lyon et Vienne). Le bateau a heurté le moulin et entraîné son bateau flottant appelé le «chenard». Le grand bateau du moulin est appelé «lanard».

Le 12 mai 1762, en Justice de Condrieu.

Joseph Henri, marchand voiturier sur le fleuve Rhône, du port de Condrieu, partit de Lyon avec cinq penelles chargées de poudre à canon et de fusils pour le compte de monsieur Bétrix, entrepreneur général de l'artillerie de France. A Semons, en amont de Condrieu, le fleuve est fort resserré et garni en rive droite de deux moulins. Une tempête se déclara brusquement. Une penelle avait déjà dépassé les moulins. La seconde fut jetée par l'ouragan contre les moulins. La troisième, située à quarante pas en amont, au droit d'une digue où le courant était particulièrement violent fut également entraînée par celui-ci et par la tempête contre les moulins. Les patrons qui étaient sur la quatrième penelle, voyant le danger, détachèrent aussitôt un barquot qui était à la suite de la leur, y transportèrent la maille jusqu'au bord où ils amarrèrent leur penelle en la mettant en sûreté. La cinquième penelle, encore plus en arrière, trouva le moyen de s'amarrer directement au rivage. Les patrons de ces penelles accoururent alors en aval et tirèrent les deux penelles accidentées qui flottaient entre deux eaux où elles finirent par couler.

Le chargement de ces deux bateaux fut rendu inutilisable, car l'eau avait pénétré dans les fûts de poudre.

Le 13 septembre 1771, port du Rave à Vernaison.

André Abel, dit Lange, 36 ans, voiturier par eau, demeurant au pont de la Tour de la Genetière remontait par halage un bateau chargé de vin pour le compte des Révérends Pères Célestins. Il se disputa avec un autre marinier qui le menaça «d'envoyer son bateau contre les moulins!»

Le 22 août 1840, en Justice de Condrieu.

Le bateau à vapeur de monsieur Henri Dervieu de Lyon, capitaine âgé de quarante-deux ans, arrive près de la digue des Pêcheurs à Condrieu. Il est alors abordé par un petit bateau de voyageurs qui devait emmener les personnes de son bord à Condrieu. Le capitaine voulut prendre toutes les précautions pour que l'embarquement s'opérât sans accident, surtout pour les femmes et les enfants qui exigent plus de soins. Ainsi, les deux bateaux ont été amenés insensiblement près d'un moulin qui existe en cet endroit et, le petit bateau n'ayant pu se dégager assez promptement du bateau à vapeur a été serré entre la roue du moulin et ce dernier. Il a été submergé. Sur les huit personnes qui y étaient embarquées, sept furent sauvées et une enfant de onze ans se noya (Vaubertrand).

Le 20 juillet 1842, en Justice de Paix de Pélussin.

Un radeau composé de trois coupures de chênes et un de sapin, conduit par Claude Debrand, en décize vers Beaucaire, arrive à Chavanay, est heurté par un bateau à vapeur appelé le Signe (le Cygne?) à destination de Valence. Le choc a été si violent que le radeau a été démantibulé en presque totalité. Le bateau avait la place de passer et le propriétaire du radeau demande des dommages et intérêts.

Le 25 mai 1843, en Justice de Paix de Pélussin.

Un bateau appartenant à Dervieux, provenant de Givors en direction de Beaucaire, subit une avarie au lieu-dit La Paillasse à Condrieu par la rencontre d'un équipage des frères Thibaudier de Vernaison. A l'endroit où le Rhône présente une courbe très prononcée. (A l'époque, car aujourd'hui, le coude a été adouci par canalisation de la C.N.R. et cet ancien coude est devenu un plan d'eau de loisirs et un port de plaisance...) Le sieur Dervieux déclara qu'il était d'usage et de rigueur qu'à cet endroit (dangereux à cause de la paillasse) le patron envoyât un homme en amont, à la Roche de Maras, pour avertir le bateau de décize qu'un équipage était de remonte. Or, cette précaution ne fut pas prise et le patron de descente ne pouvant découvrir l'équipage de remonte, l'accident fut inévitable.

Le 31 mars 1860, en Justice de Paix de Pélussin.

Monsieur Claude Merlanchon, capitaine du bateau à vapeur Mississipi, très grand bateau à aubes appartenant à messieurs Bonnardel-frères de Lyon, témoigne.

Après avoir passé le bourg de Saint-Pierre-de-Boeuf, il était descendu dans l'intérieur du bateau en se faisant remplacer par le charpentier de bord sur le pont. Après quelques minutes, il a entendu ralentir la marche du bateau. Aussitôt, il est remonté sur le pont pour voir ce qui en était la cause. Il a alors vu un batelet chargé (jusqu'à dix centimètres du bord environ...) que l'on avait dépassé en le laissant sur la rive gauche, manoeuvrant pour se porter sur cette rive. Le courant l'a entraîné dans les tourbillons occasionnés par un banc de gravier situé en face du ruisseau de la Bégande. Il a alors vu disparaître le batelet et les trois personnes qui étaient dedans. Il a alors ordonné de faire marche arrière pour porter secours aux naufragés s'il était possible. à ce moment, le bateau était en face du four à chaux d'Arcoules et sa marche en arrière n'a cessé qu'à quelques mètres en-dessous du moulin. Il n'a plus rien vu et donc, tout secours était impossible. Le batelet, chargé de fumier, était conduit par un homme et ses deux fils en bas âge.