«Le fleuve ne sait pas quel horrible fardeau il descend dans la vallée.» Henrik
Gallen,
3) LE FLEUVE ET LA NATURE
UN FLEUVE A LA PHYSIONOMIE CHANGEANTE
Le Rhône n'a pas toujours eu la physionomie qu'il a aujourd'hui, c'est évident. Surtout après les aménagements lourds de la compagnie nationale du Rhône. Mais, ce fleuve torrentiel n'a jamais été sage. Sa formation en tresses dans ses passages en plaine (torrentielle dans les défilés et autres passages étroits) est souvent évoquée. On connaît les difficultés de la batellerie de halage en remonte et, en décize, celles de trouver le chenal dans ces multiples bras entre les nombreuses îles. Mais le fleuve n'a pas toujours été ainsi. Avant, dans les plaines, il coulait d'un seul chenal avec de somptueux méandres. Nous avons vu comment Charles Lenthéric (1892) signalait que dans les temps anciens: «l'écoulement des eaux avait lieu de manière plus régulière.» Cette métamorphose de la dynamique fluviale, décrite par Jean Paul Bravard, semble due à la fois à une modification climatique et au défrichage, qui ont produit d'énormes crues modifiant le cours du fleuve. De nombreuses reliques de ces méandres existent tout au long de son cours. Jean Paul Bravard en décrit plusieurs dans son ouvrage sur le Haut-Rhône. à la hauteur de Brangues, en 1607 et 1690, le Rhône dessinait un double méandre de grande ampleur. La rupture se serait produite entre 1690 et 1766, dans un processus exceptionnel de destruction d'un style à méandres par la progression d'un style tressé. Il reste aujourd'hui ce qu'on appelle «la Morte du Saugey», un superbe bras mort du fleuve en forme de fer à cheval, formation qu'on appelle «oxbow lakes». D'autres «mortes» de cette forme existent comme le méandre de Buffières dans la plaine de Serrières et celui du Grand-Gravier à l'aval du confluent de l'Ain. Mais regardez attentivement une carte du fleuve et vous y découvrirez d'autres méandres en fer à cheval. Le Rhône s'est beaucoup baladé aussi à son coude au confluent du Guiers. Là, il empruntait la vallée morte de Veyrins en contournant la butte des Avenières. Le Guiers aurait accumulé des alluvions en cet endroit et, au septième siècle, finit par dévier le Rhône vers le nord aux pieds du Bugey en laissant à l'emplacement de son ancien lit, le Grand-Marais des Avenières et la plaine du Bouchage. C'est dans ce secteur que s'est créé un parc de loisirs aquatiques. Cette vallée des Avenières conserve encore les traces des méandres abandonnés dont les rives accueillaient des pêcheurs. Le Rhône d'alors, avec son lit unique devait être favorable aux Nautes et Ratarii (conducteurs de radeaux) qui faisaient peut-être escale à l'antique Aoste (le «forum d'Auguste»), village aujourd'hui éloigné du fleuve. Ainsi, cinquante années avant Jésus-Christ, les villes de Lyon, Vienne, Grenoble, Arles s'étaient installées dans le lit majeur du fleuve ou de la rivière. Cent cinquante années plus tard, de violentes crues ont envahi ces villes, ce qui explique pourquoi elles furent reconstruites sur d'épais remblais. La fin de l'empire romain voit le Rhône retrouver un régime hydrologique calme. Selon Maurice Champion, chroniqueur de 1856, «la première inondation simultanée du Rhône et de la Loire remonte à l'an 580, et Grégoire de Tours le rapporte en termes précis: «... Le Rhône, qui se joint à la Saône, sortit même de ses rivages, au grand dommage des peuples, et renversa une partie des murs de la ville de Lyon.» Ce fléau, à cette époque, semblait se renouveler beaucoup plus souvent. Grégoire de Tours évoque d'autres années d'importantes inondations, sans citer le nom des rivières (585, 587, 590, 592) pour montrer que la responsabilité en incombait (déjà!) au déboisement... Maurice Champion retrouve des témoignages de débordements du Rhône en septembre 1226 qui causèrent «des dommages considérables à Lyon; la ville d'Avignon surtout eu grandement à souffrir, ayant été démantelée à la suite du siège qu'elle venait de soutenir contre l'armée royale de Louis VIII, pour la cause des Albigeois.» Ensuite, d'autres grosses inondations se produisirent: 1338, 1356, 1362, 1375, 1408, 1421, 1433, 1471 et 1476. Le seizième siècle ne compte pas moins de dix inondations: juillet 1501, novembre 1544, novembre 1548, 1561, décembre 1570, 1571, octobre 1573, 1578, août 1580, 1590. Celle de 1570 fut épouvantable: «Quoique le pont qui est à Lyon basti sur ceste superbe rivière y soit fort et bien fondé, et basty de bonnes manières, si est que l'eau l'esbranla avec telle violence que quelques arches d'iceluy s'en allèrent avec l'eau...» rapporte un chroniqueur de l'époque, nommé François de Belleforest. Aux dix-septième et dix-huitième siècle, il faut signaler les crues de novembre 1651, 1669, novembre 1674, 1679, 1694, mars 1706, février 1711, novembre 1745, 1755, janvier 1756, juillet 1758, 1791... Au dix-neuvième siècle: janvier 1801, 1840, (1842, 1844, 1846, 1849 et 1851, dans le midi seulement) et 1856. Les véritables mesures de crue ne commencèrent que pour celle de 1856. Jusque-là, les dates relevées dans les chroniques sont sujettes à caution, certaines crues très localisées pouvant être décrites comme des crues générales du fleuve. En notre siècle qui connaît mieux la mesure des débits, les plus forts ont été notés en décembre 1918, décembre 1923, février 1928, janvier 1936, novembre 1944, février 1945, janvier 1955, février 1957, mai 1983, octobre 1993 et janvier 1994. Seules celles de 1928, 1955, 1957, 1993 et 1994 produisirent des inondations importantes en quelque lieu du fleuve, la crue variant d'intensité selon la pluviométrie de chaque région. On constate que toutes les crues se produisent en automne, hiver et printemps. Depuis le siècle dernier, on ne note jamais de crue d'été sur le Rhône français, contrairement au Rhône suisse. Les crues de juillet et août notées dans les chroniques anciennes sont certainement des crues du Rhône suisse. En septembre et octobre 1993, et en janvier 1994, le Rhône a connu des crues exceptionnelles, de fréquence cinquantennale pour la crue d'octobre et centennale pour celle de janvier. à cette date, à l'aval de Valence, le fleuve a connu l'une des plus grandes crues de son histoire... Ces crues, intervenues après une longue période de sécheresse, ont été alimentées par la montée des eaux des grands affluents du Haut et du Bas-Rhône, aggravée par celle des rivières cévenoles, particulièrement pour celles de janvier. Ces catastrophes naturelles ont permis de mettre en lumière trois problèmes importants posés par l'usage humain du fleuve. D'abord, la perte de mémoire des inondations depuis celles, catastrophiques, de 1955 et 1957. Les riverains, ayant oublié ce risque naturel, croyaient en être définitivement préservés. D'où, la détresse de nombre de victimes des eaux. Ensuite, l'entretien des digues privées, notamment celles de Camargue, a été abandonné. Une partie d'entre elles seulement a cédé sous la pression du fleuve, la plus importante longueur ayant résisté. Ces digues appartenant à des syndicats d'agriculteurs n'étant plus entretenues, la question est posée du financement de cet entretien. Enfin, on a également oublié le fait que les aménagements de la C.N.R. ont préservé certaines zones d'expansion des crues, nécessaires pour que le fleuve sorte de son lit, là où on le veut, et reste dans son lit ailleurs, notamment dans les villes. Rappelons-nous, ce fut déjà la philosophie de la loi du 25 mai 1858 qui interdisait toute modification des réservoirs naturels d'expansion des crues situés à l'amont des agglomérations. Les usagers de ces terrains inondables n'y pensaient plus depuis 1957, d'autant plus que les aménagements de la C.N.R., intervenus depuis, ont rendu les inondations plus rares mais, on l'a vu, encore bien réelles. Ces crues de 1993 et 1994 ont donc posé trois questions qui doivent faire l'objet d'arbitrages de l'Etat: celle de l'entretien des digues, celle de l'extension des surfaces d'épandage des inondations et celle de la vigilance des riverains.
DEBITS DES CRUES (en mètres cube par seconde)
Toutes ces crues ne furent pas sans conséquences sur le tracé du fleuve. En 1711, le Rhône change de bras au niveau de son delta, en Camargue, et abandonne son lit, «le Bras de fer» pour son lit actuel du Grand-Rhône. Plus près de nous, en 1856, la crue fait changer Vallabrègues de rive. Son apport de sédiments sur la partie est du delta a éloigné la tour de Port-Saint-Louis-du-Rhône de neuf kilomètres du bord de la mer, alors qu'elle s'y trouvait au dix-huitième siècle. Enfin, nous verrons, dans le chapitre sur les Saintes-Maries, comment le chanoine Mazel décrivait les différents Rhône de la Camargue. Monde mouvant que celui du fleuve...
UNE RICHE NATURE ENCORE BIEN PRESENTE
Milieu humide complexe, le fleuve abrite une variété importante d'espèces animales et végétales. Il coule le plus souvent dans son lit majeur et abrite là les espèces habituées à la présence de l'eau toute l'année. Son lit majeur, puisque, comme nous l'avons vu, il s'est développé en tresses, comprend nombre de bras vifs ou morts, appelés lônes dans ce dernier cas. Ces lônes alimentées par la nappe alluviale sont soumises régulièrement au courant du fleuve lors des crues. Les mortes, sont de véritables bras morts, la plupart du temps d'anciens méandres du fleuve datant de l'époque où il possédait un chenal unique. Le fleuve respire avec sa nappe, alimentant celle-ci lors des hautes eaux et se faisant alimenter par elle lors des basses eaux. Voilà donc brièvement décrit l'état naturel du fleuve juste avant ses aménagements: le fleuve médiéval à l'époque de sa physionomie en tresses. Les aménagements ultérieurs, particulièrement ceux de l'ingénieur Girardon datant du siècle dernier, ont donné une autre physionomie au Rhône, contribuant à modifier son paysage. C'est dans ce dernier fleuve que nos vieux riverains voient un Rhône naturel, constitué d'un chenal unique bordé de digues en forme de «carrés», lieux de pêche et d'accès aux berges, de digues longitudinales et d'épis. La deuxième phase a été celle des aménagements C.N.R. qui ont profondément modifié les paysages fluviaux, leur apportant un cachet et une nouvelle complexité, par certains côtés ressemblant à ceux du Rhône en méandres... Nous abordons, en ces années quatre-vingt-dix, la troisième phase que je qualifierais de phase d'équilibre entre le Rhône aménagé et le Rhône naturel. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui le fleuve nouveau, concept introduit dans le plan d'action Rhône du comité de bassin. Ce plan ambitieux propose trois grandes lignes d'action pour notre fleuve. Premièrement, il s'agit de retrouver sur les tronçons encore modelables un fleuve vif et courant en établissant, en particulier dans les tronçons court-circuités et les milieux annexes (lônes, contre-canaux), des caractéristiques physiques compatibles avec un développement de leur potentiel écologique. Deuxièmement, le fleuve tout entier verra se restaurer une qualité écologique de haut niveau, tant sur le plan chimique que physique, avec une eau apte à la vie aquatique sous toutes ses formes, des rives et des fonds propices à l'établissement de communautés végétales et animales diversifiées et le rétablissement des possibilités de migration des poissons pour leur permettre une reproduction normale. Troisièmement, le Rhône sera soustrait des pollutions accidentelles susceptibles d'anéantir les efforts accomplis par ailleurs. Bien qu'endigué et transformé en escaliers d'eau du Léman à la Méditerranée, le Rhône reste un vaste espace naturel. à partir des années 70, des actions importantes ont donné un coup d'arrêt aux aménagements et développé la protection de la nature: arrêt de l'aménagement de Loyettes au confluent de l'Ain, signature par les préfets de nombreux arrêtés de biotope, réouverture d'anciennes lônes, réflexion sur la nécessité de maintenir et développer des champs d'expansion des crues (Miribel-Jonage en amont de Lyon, Chautagne, Printegarde, Barthelasse...) coïncidant parfois avec l'existence de réserves naturelles qui sont créées en nombre plus important, valorisation écologique des reliques du fleuve que sont les tronçons court-circuités, aménagements des écluses pour la remontée des poissons migrateurs comme l'alose et l'anguille, valorisation des berges dans les villes. Après la phase d'hyperaménagement, le fleuve entre, dans les années 80, dans une phase de reconquête de ses espaces naturels. De nombreuses zones naturelles présentant un intérêt écologique, faunistique ou floristique particulier (Z.N.I.E.F.F.) ont été recensées dans le bassin du Rhône et dans sa vallée. Certaines de ces zones, également réserves naturelles, ont un caractère exceptionnel comme les marais de Chautagne et de Lavours, les îles du Haut-Rhône, les Gorges de l'Ardèche, l'île de la Table Ronde, île de la Platière, Printegarde et la Camargue... Enfin, des réserves naturelles importantes jalonnent le cours du Rhône jusqu'à la Camargue, la plus importante d'entre elles. Du delta de la Dranse au bord du lac Léman, vaste delta d'alluvions, de bras et d'îles, abri d'oiseaux et de reptiles, en passant par le marais de Lavours, unique en Europe, l'île de la Platière, caractéristique de la variété des milieux fluviaux faits d'eaux courantes et dormantes, de bras et d'îlots, dont la forêt est une véritable jungle, jusqu'à la réserve de Camargue, les sites protégés sont en nombre important. Beaucoup sont équipés d'observatoires, de sentiers sur pilotis et de caméras vidéo fixes qui permettent d'observer la vie de la nature sans la déranger. Parfois, ces sites sont menacés, comme l'île de la Platière qui est lentement asséchée par le pompage excessif de l'eau de la nappe par les usines chimiques implantées aux alentours. Il faut donc réalimenter les lônes et les bras morts en eau... D'autres espaces constituent des lieux importants de préservation des espèces, comme les réserves de chasse et de pêche, très nombreuses le long du fleuve. Le Chevreuil reste très répandu et en expansion dans toute la vallée mais surtout sur le Haut-Rhône. Il fait d'ailleurs l'objet de plans de chasse. La Loutre, autrefois abondante et devenue très rare depuis le début du siècle, surtout à partir des années 60, existe néanmoins dans plusieurs stations de peuplement: Haut-Rhône, Drôme, Printegarde, Rhône méridional, Durance et quelques affluents rive droite. Sa raréfaction semble due au piégeage, à l'artificialisation du milieu naturel, au recalibrage des cours d'eau, à la pollution des fleuves et à la fréquentation des berges. Le Castor, rongeur végétarien qui se nourrit des pousses de saules de la vorgine, a failli disparaître totalement vers la fin du dix-neuvième siècle. Les causes en sont la chasse d'abord pour sa fourrure et le castoréum (produit de ses glandes à musc utilisé en pharmacopée) et, ensuite, la destruction de son milieu de vie par la rectification, les endiguements, barrages et usines sur les cours d'eaux. Les arrêtés préfectoraux de protection datant de 1909 se sont avérés insuffisants. Dès 1965, une campagne de réintroduction fut développée sur deux secteurs: dans la vallée du Rhône entre Lyon et le confluent avec l'Ain, et en Savoie. Au bord du fleuve, le Castor est présent dans les espaces naturels protégés au sud de Lyon. Il vit bien dans les tronçons court-circuités et, comble d'ironie, dans les milieux les plus artificiels qui soient, les contre-canaux des aménagements de la C.N.R. où ils construisent des barrages pour créer des plans d'eau. Le Rhône reste donc le milieu type du Castor. à partir du fleuve, il pénètre peu dans les affluents, sauf en basse Durance et dans l'Ardèche. Les affluents de la rive droite sont souvent de caractère trop torrentiel et les autres sont canalisés, endigués, et ne possèdent pas, ou plus, la vorgine, base de la nourriture du Castor. D'autres mammifères sont devenus les animaux typiques du fleuve comme les Rats musqués et Ragondins (ou Myocastors), animaux américains acclimatés sur les rives du Rhône. L'implantation du Ragondin serait due à l'élevage intensif que l'on développait pour sa fourrure sous le nom de Castor du Chili. Cet élevage industriel date de 1930. D'autre part, dans la même période on en a lâchés volontairement pour limiter la végétation dans certains secteurs. Aujourd'hui, le Ragondin est présent dans tout le bassin du Rhône, comme dans celui de la Loire et de la Garonne. L'existence du Rat musqué dans notre pays semble avoir la même origine que celle du Ragondin. Sa prolifération pose aujourd'hui de graves problèmes dus aux terriers qu'il creuse dans les digues et barrages et qui causent parfois leur effondrement. Les oiseaux nicheurs et migrateurs vivent en très grand nombre sur les berges et au bord du fleuve. Si le Râle des genêts est en régression dans le marais de Lavours, le Héron cendré, lui, est en nette progression partout. On voit souvent un Héron voler entre deux sites de pêche, ses très grandes ailes battant lourdement l'air, très affairé à rentrer son cou en S entre ses épaules, ses pattes dressées droites horizontalement sous sa queue. Les sites aquatiques nombreux constituent des lieux idéals d'hivernage pour les oiseaux migrateurs. Certains de ces sites sont d'importance nationale comme le lac Léman, le lac du Bourget, la retenue du barrage de Donzère-Mondragon sur le fleuve et, bien sûr, la Camargue. Citons aussi sur le Rhône: la retenue de Brégnier-Cordon, le barrage de Motz, Miribel-Jonage, la vallée du Rhône dans les départements de l'Isère et de l'Ardèche, le confluent avec l'Isère, celui avec la Drôme (Printegarde), l'île de la Barthelasse. Des milliers d'oiseaux hivernent sur le Rhône: Canard Colvert, Sarcelle d'hiver, Canard Chipeau, Garrot à l'oeil d'or, Nette rousse, Fuligule milouin, Fuligule morillon... En Camargue, on rencontre le Flamant rose, le Bruant des roseaux, la Fauvette aquatique, le Busard des roseaux, le grand Butor, la Cigogne blanche et le Héron garde-boeuf récemment installé ici. Le Martin-pêcheur jette son éclat bleu en volant au-dessus de l'eau à la recherche de sa nourriture: le frétillant poisson. Le Héron bihoreau, plus petit que le Héron cendré et la blanche Aigrette surveillent également le poisson pour l'attraper. Le Milan noir, plane parfois très haut, ses larges ailes coudées étalées devant sa longue queue échancrée. Il se nourrit de poissons morts et s'en va en hiver vers des contrées plus chaudes. Le Balbuzard se jette sur le poisson en se laissant tomber de haut et le saisit de ses serres acérées.
Oiseaux hivernants en Rhône-Alpes sur le fleuve
(Source DIREN)
PARTIES DE PÊCHES
Le fleuve est également riche en poissons, bien plus sur le Haut-Rhône qu'en aval de Lyon. Ombre, Barbeau, Goujon, Truites, Vairon peuplent encore le Haut-Rhône, accompagnés des espèces également présentes sur le Bas-Rhône: Rotengle, Gardon, Ablette, Carpe, Brème, Tanche, Hotu, Brochet, Sandre, Perche, Perche-soleil et pardonnez-moi si j'en oublie, mais je ne cite que ceux que j'ai eu l'occasion de pêcher un jour ou l'autre. Il en est d'autres qui ne sont pas d'ici et qui ont été plus ou moins adaptés après leur introduction volontaire ou non: le Poisson-chat avec ses trois pointes au bout de ses nageoires avant et qui ne devient jamais aussi gros qu'en Amérique d'où il a été importé, le Black-bass qui a pratiquement disparu de nos eaux, ayant eu certainement du mal à s'adapter. Mais, il y a d'autres poissons que nous pêchions encore dans les années soixante et qui ne remontent plus jusqu'à nous, ce sont les migrateurs. L'Anguille d'abord qui passe difficilement les barrages et usines-écluses et surtout la «sardine», surnom donné à l'Alose au museau trapu et aux écailles brillantes qui ne remonte pas plus haut que Vallabrègues alors qu'on la pêchait au siècle dernier jusqu'en Haute-Saône! Elle mérite bien ce surnom d'ailleurs, puisqu'elle fait partie de la famille des sardines. Le plan Rhône prévoit d'énormes investissements pour permettre la remontée de ces poissons migrateurs. On s'est aperçu que dans des conditions données, l'Alose pouvait utiliser les écluses pour remonter. Il suffit d'aménager ces écluses pour créer ces bonnes conditions. D'autres espèces de poissons ont disparu de notre fleuve: la Lamproie et l'Esturgeon que l'on pêchait encore au début du siècle... Une pêche professionnelle très réduite existe encore sur le fleuve. Le recul de la pollution et, par conséquent, le retour d'une qualité écologique de haut niveau, la verra sans doute se développer à nouveau. La dernière fois que je suis allé pêcher avec mon ami Georges Millon dans la lône de l'île de La Platière, il avait beaucoup plu. C'était en septembre 1995. Lorsque la pluie est violente et abondante en amont, l'Arve, premier affluent du fleuve à sa sortie du lac Léman, apporte sa signature laiteuse à l'ensemble du fleuve jusque loin en aval de Lyon. C'était le cas ce jour-là : la lône présentait une eau laiteuse des sédiments calcaires arrachés à la montagne par l'Arve et apportés jusque-là. Cette poudre blanche donne au fleuve à Bellegarde-sur-Valserine cette couleur émeraude-laiteux caractéristique du Rhône dans cette région. On voit bien que le caractère glaciaire du fleuve le marque tout au long de son cours. Ce jour de fin d'été, nous avons pêché de nombreux poissons-chats, suffisamment gros pour être mangés. C'est très bon: il faut leur couper la tête juste après les trois nageoires munies d'épines cruelles, et, à l'aide d'un chiffon, attraper la peau noire et tirer pour écorcher le muscle puissant de la bête. Il vous reste alors un superbe filet rose que vous pouvez frire ou préparer en matelote. La touche du poisson-chat n'est pas très franche. Il faut veiller à ferrer assez tôt pour éviter d'avoir à exercer une véritable opération chirurgicale pour extraire l'hameçon que la petite bête a alors avalé profondément... Le gros va tirer très fort, mais sans risque de casse. Lorsqu'on le sort de la surface brillante du miroir de l'eau, il proteste en giflant sa tête avec sa queue pour faire un cercle noir alternativement d'un côté et de l'autre. Attention aux trois épines des ses nageoires qui le vengeront inutilement en vous perçant la paume des mains si vous n'y prenez pas garde en le saisissant. Le gardon mord plus franchement et se bat moins au bout de la ligne. Il n'est jamais très gros hélas. La tanche, magnifique poisson des profondeurs, mâchonne longtemps l'appât avant de s'en aller tranquillement en le serrant entre ses lèvres cornées. On ferre à tout hasard et puis on est surpris de la résistance opiniâtre de la bête. Elle tire très fort et très longuement sur la ligne. Cette fois, j'étais monté très fin, un fil de dix centième avec un hameçon de dix-huit: gare à la casse. Mon ami Jojo se précipite avec le filet et moi, je fatigue longuement la bête, l'excitation au ventre de ne pas la laisser s'échapper. Après de longues minutes durant lesquelles la Tanche tire au fond de droite à gauche, sa grande fatigue me laisse le loisir de la remonter à la surface et mon compagnon la sort de l'eau grâce à l'épuisette: belle bête au ventre jaune et au dos noir qui sera dégustée le soir même, cuite au court-bouillon, sans le moindre goût de vase. Et puis il y a eu des Brèmes bossues. Velléitaires au ferrage, elles tirent sur le fil d'un long coup brutal et si on ne résiste pas trop pour éviter la casse, elles cèdent vite a l'appel ferme du bras du pêcheur en se laissant remonter couchée sur le côté à plat sur la surface de l'eau. Quand on la saisit, elle laisse dans les doigts une bave glaireuse. Pleine d'arêtes, elle peut se manger au court-bouillon après l'avoir trempée douze heures dans de l'eau et du vinaigre aromatisé. On peut aussi la mettre au four, le ventre bourré d'oseille et arrosée de vin blanc. Mon compagnon en a pêchée une énorme que je lui ai sortie avec l'épuisette. Il y a eu aussi quelques Ablettes... J'ai essayé la pêche au vif, mais maître Brochet ne s'est pas laissé tenter. Un grand plaisir de chasseur qui ne m'a pas été offert ce jour-là. Lorsque le brochet attrape le vif fixé par le dos au montage comprenant un gros bouchon, une olivette en plomb et un hameçon double attaché à un fin câble d'acier, il se précipite sur lui en le saisissant en travers de son large bec corné. Si on ferre à ce moment-là, c'est perdu: l'hameçon glissera sur la corne de la gueule dentée et le gros prédateur fuira. Il faut attendre, rongé par l'impatience, laisser partir le fil derrière le bouchon qui s'est enfoncé d'un gros "flop"! Attendre que le gros poisson rentre chez lui, dans son antre, et avale le vif, fruit de sa chasse, croit-il, pour que l'hameçon se trouve placé alors dans sa gorge aux chairs tendres. C'est à ce moment qu'il faut ferrer d'un mouvement ample de la canne pour accrocher irrémédiablement le monstre. En moulinant lentement mais sûrement, ne vous fiez pas à votre impression de tirer une grosse branche inerte, c'est bien le fauve que vous amenez à la berge! à la surface de l'eau, en apercevant le pêcheur, il donnera un ultime coup de queue violent: gare à la casse et à la déception. Une fois hors de l'eau, éviter de mettre le doigt dans sa gueule pour aller enlever l'hameçon au fond de sa gorge même s'il ouvre, semble-t-il, béatement la gueule. En claquant du bec il vous blesserait cruellement... Lors de cette partie de pêche, nous avons rencontré un agriculteur qui nous a parlé de son amour du fleuve d'antan, expliqué comment la pêche était une ressource alimentaire irremplaçable pendant la guerre, avoué ses piratages dans les lônes avec la grande «couble», énorme filet quadrangulaire qui ratissait tous les poissons du sauvage plan d'eau... Les pêches sont agréables sur le fleuve Rhône. Bien sûr, avec les aménagements, la diversité des espèces a baissé. On trouve toujours de tout dans le fleuve puisque la complexité de l'ensemble du bassin fait qu' «il pleut véritablement des poissons de l'amont vers l'aval», comme le dit un chercheur. Mon ami Jojo, s'est rendu au bord de la même lône quelques jours plus tard et a fait une pêche totalement différente: peu de poissons, mais de petits Black-Bass, devenus bien rares aujourd'hui. N'étant pas à la maille», il les a rejetés au fleuve. La Brème et le Gardon s'imposent dans le Bas-Rhône et l'Ombre devient de plus en plus rare sur le Haut-Rhône.
Potentiel
ichtyologique du Rhône. Liste et abondance des espèces
Pourcentage moyen en nombre d'individus d'une espèce par rapport à l'ensemble des espèces. ( X: inférieur à 1 % - XX: 1 à 5 % - XXX: 6 à 10 % - XXXX: supérieur à 10 % )
Source: Agence de l'eau
On note bien, à partir de Lyon, une baisse importante du nombre d'espèces présentes, baisse due aux pollutions de l'agglomération, puis une remontée de ce nombre grâce à l'autoépuration du fleuve. Il ne faut pas se fier aux apparences de ce tableau qui semble montrer une grande diversité d'espèces, alors que la plupart d'entre elles ne sont présentes qu'à moins de 1%...
Diverses espèces de reptiles sont également présentes, les plus courants bien sûr, mais aussi la tortue Cistude très rare, mais existante dans certains sites fluviaux du Haut-Rhône. Ne pas la confondre avec la tortue de Floride qui a fait l'objet de nombreux lâchers de particuliers voulant se débarrasser de la bestiole qu'ils avaient achetée petite et qui est devenue encombrante.. Si vous voulez avoir une (vague) idée du paysage fluvial naturel d'antan, postez-vous sur les hauteurs d'un tronçon court-circuité du fleuve, par exemple celui de Vernaison. Vous y verrez une forêt épaisse qui cache complètement le cours du fleuve. La ripisylve reconquiert cet espace. Cette forêt alluviale est composée de plusieurs sortes de Peupliers et de Saules qui lâchent leurs cotons du mois de mars (pour le Saule Marsault) au mois de mai (pour le Peuplier noir), d'Aulne (les vernes), d'Ormes, de Frênes. La vorgine, végétation de berge, étant surtout composées de pousses de Saules et de Peupliers. Cette véritable jungle est rendue impénétrable par le développement d'un fouillis végétal grimpant et buissonnant comme la Clématite (dont la liane se fume lorsqu'on est jeune et qu'on n'a pas d'argent pour acheter des cigarettes, mais ce n'est vraiment pas bon!), l'Aubépine, Bourdaine, Viorne Obier, Troène, Cornouiller, Fusain... Et puis sur les parties sèches et ensoleillées des digues on trouve l'Onagre, l'Immortelle des sables etc... C'est que le fleuve éparpille tout le long de son cours les graines des plantes qui s'étalent ainsi. Des plantes importées envahissent certains lieux comme le Polygonum ou la Renouée du Japon. On admire aussi sur les sites calcaires des berges des Orchidées et parfois une fougère rare appelée Langue de serpent. Un jour de juin, dans le secteur de Lavours et Chautagne, j'ai pu voir l'Utriculaire et le Drosera, plantes carnivores et de nombreuses orchidées, soit sous le couvert des bois, soit sur les terres rapportées de l'aménagement de la C.N.R.: Ophrys abeille et araignée, Orchis tacheté, Listera, Orchis vanillé et Céphalanthère... Le centre d'observation de l'île du Beurre a organisé une exposition (en 1995) sur les orchidées du fleuve. On peut y admirer, entre autres: Epipactis helleborine, Orchis simia, Ophrys sphegodes et quelques hybrides rares. On a même découvert une espèce nouvelle: Epipactis fibri. Tout cela est bien contradictoire avec l'image négative que donnent les médias sur le fleuve Rhône. Il suffit de se promener à l'écart des villes et des autoroutes pour rencontrer la vraie nature du fleuve. Les aménagements de la compagnie nationale du Rhône ont créé des milieux sans intérêt écologique comme les canaux de dérivation, mais d'autres milieux restent intéressants comme les tronçons restés «naturels», les lônes préservées, les tronçons court-circuités et les contre-canaux des aménagements. D'autre part, l'écologie entre dans une nouvelle phase. Après avoir été la science qui étudie les équilibres naturels et l'impact de l'homme sur eux, elle devient la science de la restauration de ces équilibres. C'est l'émergence de «l'écologie de la restauration», comme le souligne Christophe P. Henry dans sa thèse qu'il vient de présenter à l'université Claude Bernard à Lyon en juillet 1995, intitulée: «des perturbations à la restauration des écosystèmes aquatiques». Howard T. Odum a défini pour la première fois l'écologie de la restauration ou «génie écologique» au début des années soixante comme « les cas où l'énergie fournie par l'homme est faible par rapport aux sources naturelles, mais suffisante pour produire des effets importants sur les mécanismes et processus résultants « et comme «une manipulation de l'environnement par l'homme, utilisant une faible quantité d'énergie, pour contrôler des systèmes où l'énergie principale provient toujours des sources naturelles.» Voilà donc l'espèce humaine engagée dans une nouvelle aventure, jugée tabou par certains intégrismes écologistes, mais certainement passionnante. La thèse dont il est question ici a consisté à étudier la restauration d'une lône qui souffrait gravement d'eutrophisation. Il a fallu d'abord décaper la couche de sédiments organiques fins colmatant le chenal et enlever les bois morts du lit pour mettre à nu le substrat de graviers, ce qui permet à l'eau de la nappe de rétablir une circulation avec celle de la lône. Parallèlement, la ripisylve dut être conservée pour l'autoépuration des eaux et maintenir l'ombrage empêchant la prolifération des algues. L'isolement direct de la lône vis-à-vis de son fleuve fut maintenu pour la tenir à l'abri de l'eau du Rhône trop riche en nutriments et en matières en suspension. Les scientifiques ont également décidé de maintenir quelques plages non perturbées devant permettre, après restauration, une recolonisation rapide par la faune et la flore, notamment par la constitution d'herbiers favorables au frai des brochets. Cet exemple passionnant permet d'envisager un avenir pour un Rhône nouveau. Le passé étant le passé, l'écologie y puisera les connaissances pour aménager un nouvel équilibre naturel. Après les aménagements hydrauliques, peut-on envisager l'avenir à la lumière d'aménagements, de restaurations écologiques? La compagnie nationale du Rhône, l'Agence de l'eau et les services de la navigation pourront s'employer à mettre en actes cet avenir avec l'aide des riverains et de leurs associations.
POLLUTION ET DECHETS
Une autre fonction naturelle d'un fleuve est de transporter des déchets. Cette fonction, l'homme a su très tôt s'en servir. Aujourd'hui, elle risque de prendre des proportions qui mettent véritablement en danger la nature. Mais ne dramatisons pas, la situation n'est pas catastrophique en ce milieu des années quatre-vingt-dix et les prévisions sont optimistes. Le Rhône est soumis, il est vrai, à une pression humaine considérable de la part des 2,5 millions d'habitants qui vivent en son bord et qui l'utilisent pour différents usages: eau potable, irrigation, pêche, loisirs, baignade, production industrielle, évacuation des eaux usées, navigation et production électrique. De vastes concentrations d'usines chimiques, de grandes agglomérations humaines, six sites nucléaires d'une puissance électrique de 15 mille MW, dix-neuf aménagements hydroélectriques qui court-circuitent 166 kilomètres de fleuve. Il y a de quoi faire pour le fleuve... Trois départements lui apportent l'essentiel de la pollution industrielle: le Rhône, l'Isère et les Bouches-du-Rhône. Un Réseau national de bassin (R.N.B.) mesure mensuellement (ou annuellement pour certains cours d'eau) un certain nombre de paramètres polluants sur le fleuve et ses affluents en des points fixes prédéterminés. Mais, ces mesures ne sont pas complètement fiables, car trop ponctuelles dans le temps et dans l'espace. Certaines mesures en continu devraient être effectuées. La qualité de l'eau reste bonne pour le Haut-Rhône et moyenne pour le Bas-Rhône. Cette mauvaise qualification est due aux apports polluants de l'agglomération lyonnaise qui pollue encore le fleuve à raison de près de deux millions d'équivalents-habitants, malgré l'existence de neuf stations d'épuration de la communauté urbaine de Lyon. Le tronçon aval de Lyon est le plus pollué. C'est dans ce secteur également que les micropolluants sont les plus présents dans les sédiments. Cette pollution toxique se retrouve à l'embouchure dans les moules et sédiments marins.
VIDANGES DE BARRAGES
Les barrages de retenue du Haut-Rhône nécessitent une vidange régulière, ce qui ne va pas sans poser de graves problèmes aux équilibres écologiques du fleuve. Jusqu'en 1968, date de la mise en service de la station d'épuration de Genève, tous les égoûts de cette grande ville apportaient une énorme pollution organique au fleuve qui voyait ainsi s'accumuler en amont du barrage de Verbois 30 000 tonnes par an de sédiments organiques qui fermentent à l'abri de l'air. La vidange apporte alors une forte pollution en DBO5 (demande biologique en oxygène) qui détruit l'oxygène dissous dans l'eau et un flux d'ammoniaque (NH4), toxique qui se répand loin en aval de Lyon. L'épuration des eaux usées de Genève a amélioré la situation, mais elle reste très préoccupante. En 1975, on a observé le comportement panique des poissons à l'arrivée de la nappe de pollution. Ils fuyaient l'onde de pollution en se réfugiant dans les affluents. En 1978, date d'une vidange de barrage historique, on a constaté une réduction de 60 % de la densité piscicole. Cette pollution est également différée, car une partie est adsorbée par les sédiments et rechargée dans l'eau lors des crues. En 1974, lors de la crue de fin juin, on démontra que le Rhône déversa dans le lac du Bourget 12,6 tonnes de NH4, soit 48% des entrées annuelles dans le lac. Rappelons, pour mémoire, que l'effluent de la station d'épuration des eaux du bassin versant du lac du Bourget se déverse dans le Rhône après avoir traversé la montagne appelée Dent-du-Chat. La fragilité de l'équilibre écologique du lac ne pouvait supporter un tel effluent même épuré. Le Rhône doit pouvoir l'accepter lui... Divers essais ont été tentés pour assurer la vidange des barrages en continu. Je livre ici le témoignage d'une personne ayant participé à un tel essai. «On devait extraire la vase déposée devant la vanne de vidange du barrage de Génissiat. Il a fallu nettoyer le fond jusqu'à soixante-dix mètres en amont du barrage. On recrachait dans les turbines la vase qu'on aspirait au fond. La technique utilisée était la suivante: à partir d'un ponton, on a descendu morceau par morceau un gros tube évasé en bas, accompagné de deux autres canalisations plus petites pour envoyer de l'air comprimé. Cet air expulsait la vase dans le gros tuyau et le tout remontait à la surface. On avait descendu au fond un petit bulldozer télécommandé qui poussait la vase qu'on aspirait. Ce travail était risqué, car le niveau de l'eau variait brutalement de quatre à cinq mètres!» Aujourd'hui, la C.N.R. a fait un choix qui permet de modérer considérablement l'impact de telles vidanges en faisant transiter la charge polluante par les canaux de dérivation uniquement, les barrages bloquant tout écoulement vers les tronçons court-circuités qui ne sont alimentés pendant ce court laps de temps, que par la nappe phréatique et donc mis à l'abri de la pollution.
POLLUTIONS ACCIDENTELLES
De nombreuses pollutions accidentelles, toutes causées par l'industrie chimique, ont contribué à la mauvaise réputation, injustifiée, du fleuve Rhône. J'ai pu en dresser une liste presque exhaustive. Le samedi 10 juillet 1976, à l'intérieur de l'usine PCUK de Pierre-Bénite (aujourd'hui ATOCHEM) un ouvrier se trompe et rince un wagon plein d'acroléïne, produit extrêmement dangereux qui se déverse dans le fleuve: 360 tonnes de poissons morts. La justice punira l'entreprise le 7 novembre 1977 en condamnant le directeur à un mois de prison avec sursis. Pendant plusieurs années, cette usine donnera lieu à des pollutions diverses et accidents. Grâce à l'opiniâtreté du personnel, des riverains et de la commune, cette entreprise qui fabrique les HFA, substituts aux CFC, est aujourd'hui performante. Il est à noter que la date du 10 juillet 1976 est aussi celle de la grave pollution de Seveso, en Italie, pollution qui donnera lieu à la Directive européenne du même nom et à la législation française qui l'applique, notamment la loi de 1987. En septembre 1982, 60 tonnes de poissons morts, tués par une pollution importante, encombrent le fleuve. Les usines Rhône-Poulenc de Saint-Fons déclarent immédiatement aux services des installations classées qu'elles ont déversé des eaux-mères d'hydroquinone comme elles étaient d'ailleurs autorisées à le faire. Plaintes sont déposées contre l'entreprise. L'action en justice n'aboutit pas, car il ne peut être prouvé que la mortalité des poissons est due à ces eaux-mères. D'ailleurs, il faut noter qu'à l'heure d'aujourd'hui, les services de l'état n'ont toujours pas réglé une question budgétaire bureaucratique permettant de faire analyser immédiatement les poissons en cas de mortalité. A suivre... En juin 1985, un incendie fait rage aux usines Rhône-Poulenc de Péage-de-Roussillon. Un hangar de stockage de la pyrocatéchine, produit voisin de l'hydroquinone, est la proie des flammes. Les pompiers ne peuvent utiliser la mousse pour combattre l'incendie et arrosent copieusement d'eau qui dissout le produit et l'emmène au fleuve. 60 tonnes de poissons tués. Ici, l'action en justice fut plus complexe, l'exploitant mettant en avant la force majeure. Mais, la cour d'appel de Grenoble le condamne pour pollution. Enfin, en mai 1993, une grave pollution avec mortalité de poissons se produisit à hauteur de Saint-Pierre-de-Boeuf. L'origine de cette pollution est encore inconnue, l'action en justice se poursuivant. Néanmoins, un certain nombre de constatations peuvent être faites. à cette époque, le débit du Rhône était faible, environ 400 mètres cube par seconde. L'eau était chaude et le temps orageux. Par malchance, une importante station d'épuration de l'agglomération lyonnaise située à quelques dizaines de kilomètres en amont était arrêtée pour travaux ayant pour but d'améliorer son épuration. Un Rhône fatigué, pollué par une grosse agglomération ne résista certainement pas aux pollutions toxiques d'entreprises situées dans les parages. La justice tranchera... Tous ces accidents ont permis de tirer les leçons de l'état de négligence dans lequel l'exploitant laissait ces entreprises de la chimie. Des mesures importantes sont prises: meilleure surveillance des effluents, mise en place d'énormes réservoirs de rétention des eaux en cas d'incendie et projets de station de prévention et d'alerte contre les pollutions accidentelles. Une station de ce type existe au nord-est de Lyon pour surveiller le fleuve en amont des captages d'eau potable de la Communauté urbaine situés à Crépieux-Charmy. Cette station est complétée par une usine de production de secours et des aménagements hydrauliques de rupture de liaison directe entre le fleuve et la nappe. Une autre station d'alerte est en voie d'installation en aval pour protéger les captages de l'Île -du-Grand-Gravier qui alimente en eau potable les Monts-du-Lyonnais et ceux du méandre de Chasse-sur-Rhône qui alimentent les communes du sud du département du Rhône. Ces stations analysent en continu les eaux du fleuve afin de mesurer l'arrivée d'une éventuelle pollution et, dans le même temps stockent des échantillons automatiquement prélevés afin de réaliser éventuellement des analyses approfondies. En cas d'alerte, les pompages d'eau potable sont immédiatement arrêtés et, si possible, le niveau du fleuve baissé grâce aux interventions de la C.N.R afin que l'eau polluée du fleuve n'entre pas dans la nappe, mais que celle-ci alimente momentanément le Rhône. L'alimentation en eau potable est assurée par les réserves durant la courte période pendant laquelle la pollution passe. Les échantillons permettront de découvrir le coupable. Les analyses en continu de certains paramètres polluants du fleuve sont utiles pour déterminer avec précision les flux de pollution apportée en Méditerranée. J'espère que notre fleuve ne verra plus ses eaux polluées accidentellement.
USINES NUCLEAIRES
La vallée du Rhône français abrite de nombreuses usines nucléaires. Les centrales thermiques nucléaires d'abord, avec le prototype industriel surrégénérateur de Creys-Malville et les quatre tranches (chaque réacteur est appelé «tranche» par EDF) du Bugey, en amont de Lyon, et, en aval, les deux tranches de Saint-Maurice-l'Exil, les quatre tranches de Cruas et de Tricastin. La plupart d'entre elles utilisent l'eau du fleuve pour refroidir la vapeur qui sort des turbines. Seules celle du Bugey et de Cruas utilisent partiellement des aéroréfrigérants, ces hautes tours hyperboliques qui lancent vers le ciel des beaux panaches de vapeur. L'une de celles de Cruas exhibe une magnifique fresque visible à partir de l'autoroute A7. Les deux réfrigérants de Tricastin, également parfaitement visibles à partir de l'autoroute A7, ne servent pas à la centrale nucléaire, mais à l'usine d'enrichissement d'uranium située à côté. C'est l'un des trois complexes nucléaires de la vallée. Les deux autres sont situés non loin de là, à Pierrelatte et à Marcoule. Ce ne sont pas des centrales électriques, mais des usines de fabrication et de traitement du combustible nucléaire et des centres de recherche. Le fleuve Rhône met ainsi son puissant débit au service d'une industrie de pointe. Le complexe industriel le plus polluant au niveau de la radioactivité reste celui de Marcoule. Il y a quelques temps, les effluents radioactifs étaient déversés dans le Rhône par une installation complexe qui l'éparpillait au fond du lit. Cet effluent était, au préalable, traité dans une station d'épuration chimique. La pollution du fleuve, bien qu'acceptable selon les autorités, était importante. Aujourd'hui, le centre de Marcoule utilise un autre procédé d'épuration: l'effluent liquide est évaporé dans une usine spéciale et le résidu solide est conditionné de manière rigoureuse pour être stocké dans des laboratoires spéciaux. La pollution radioactive a donc considérablement diminué. Les autres installations, étroitement surveillées sur le plan de la radioactivité, ne présentent pas les mêmes effets polluants.
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