«Le fleuve est bienfaisant, il est tendre. Il les endort en les berçant.» Dialogue du film «Double assassinat dans la rue Morgue» (1932)
5) AFFLUENTS
LA SAÔNE
Le plus important des affluents du Rhône est la Saône. Elle a la caractéristique identique à celle du fleuve, celle de couler du nord vers le sud, jusqu'à Lyon où elle rencontre le Rhône. C'est une rivière puissante (400 mètres cube par seconde) mais tranquille. Elle coule lentement, sans se presser de retrouver son fleuve. Juste avant la capitale des Gaules, elle serpente au pied du Mont-d'Or dans un val de Saône remarquable. Elle traverse Lyon en méandres dans un site formidable qui sépare deux collines prestigieuses: Fourvière en rive droite, et la Croix-Rousse en rive gauche. Son entrée dans la ville est marquée par l'île Barbe, autrefois lieu de résidence des moines avec trois églises: Saint-Marc, Saint-Loup et Notre-Dame-de-Grâce. Les insurgés protestants du baron des Adrets (1562) détruisirent ces magnifiques monuments dont il ne reste qu'une partie de Notre-Dame-de-Grâce avec son clocher roman qui domine avec élégance la végétation de l'île. Mais, avant d'arriver là, la Saône a suivi un long parcours de 480 kilomètres en ayant pris sa source au seuil de la Lorraine, à Vioménil dans les Vosges. Sa pente est très douce puisque sa source se trouve à 404 mètres d'altitude et qu'elle se perd dans les eaux fraîches du Rhône à 158 mètres d'altitude. Son principal affluent est le Doubs, rivière étonnante du Jura, qui hésite longtemps entre la Suisse et la France en se dirigeant vers le nord-est avant de changer brusquement d'avis et de s'élancer vers le sud-ouest pour rejoindre la Saône. La vallée du Doubs est le siège du canal du Rhône au Rhin qui permet à de nombreux plaisanciers de traverser l'Europe du nord vers le sud. Cette charmante rivière retrouve la Saône à Verdun-sur-le-Doubs. La Saône se fit d'abord appeler Arar, racine celte signifiant eau, puis Sauconna par les Romains. Les paysages qu'elle traverse sont calmes comme elle, tout à l'horizontale, contrairement au Rhône qui ne traverse que des montagnes. Cette rivière fut navigable depuis la nuit des temps. En 1779, un ingénieur, Thomas Dumorey, a réalisé une expertise de la Saône en descendant son cours. Ce document très précis nous montre la rivière telle qu'elle était à cette époque. Son cours se divise en trois sections: la Haute-Saône jusqu'à Gray; la Petite-Saône de Gray à Verdun-sur-le-Doubs; la Grande-Saône jusqu'à Lyon. En 1790, centre d'un grand réseau de voies navigables, elle était reliée au Doubs pour le futur canal Rhin-Rhône, à la Loire par le canal du Charollais ou du Centre, à la Seine par le canal de Bourgogne. Elle fut intéressante pour le débouché des marchandises vers Lyon et la mer. On y faisait d'abord descendre le bois grâce à des grands radeaux constitués à Jonvelle en Franche-Comté, bois qui alimentait les chantiers de la marine royale à Toulon. On construisit des lourds bateaux de chêne au port de Selles, bien plus chers que les penelles de Condrieu. Cinquante-neuf ports furent recensés tout au long du cours de la Saône, de simples arrêts sans aménagement, ni quai en dur. Seule Châlon-sur-Saône possédait un port de pierre qui servait pour les marchandises, mais aussi pour l'embarquement et le débarquement des voyageurs qui passaient de la diligence au bateau entre Paris et Lyon, et vice versa. Puis les villes de Mâcon et Trévoux imitèrent Châlon dans la construction de quais en pierres. Comme pour tous les cours d'eau de cette époque, les marchandises descendaient plus qu'elles ne montaient. Les bateaux transportaient les marchandises produites dans les régions traversées: bois et blé, pierres et briques, vin. Bien que son cours soit lent, la Saône ne se prêtait pas si facilement à la navigation, car en hiver elle débordait très loin de son lit mineur et le chenal était introuvable ou elle gelait, car elle est trop plate et lente; en été, elle manquait d'eau. Elle n'était utilisable, en fin de compte, que quatre à cinq mois par an. La nature y était sauvage sur ses berges souvent inaccessibles et impraticables pour le halage. Dumorey a recensé cent vingt-huit arbres et quarante et une grosses racines tombés à la rivière. D'autres obstacles, plus classiques, gênaient la navigation: ponts (il y en avait neuf le long de son cours) et bacs (il y en avait cinq), moulins particulièrement nombreux à proximité des villes où ils trouvaient le marché pour la farine. Comme le cours de la rivière est lent, il leur fallait un pertuis aménagé par une digue... Les chevaux remontaient des convois de six à douze bateaux et la descente se faisait à la rame (faute de courant...), chaque embarcation étant munie de quatre «empreintes», rames longues de douze mètres dont l'une, à l'arrière, servait de gouvernail. Ici aussi, on «piquait à l'empi» ou «piquait au riaume». L'ingénieur ne préconisera pas d'aménagements importants, la rivière restera ainsi longtemps en un état naturel. Il faudra seulement assurer une continuité aux chemins de halage. La Saône fut le lieu d'essai du pyroscaphe de Jouffroy d'Abbans, précurseur du bateau à vapeur. Cet engin à aubes remonta la Saône à Lyon, de l'archevêché à l'île Barbe pendant un quart d'heure environ. C'était le 15 juillet 1783. Quelques années auparavant, en 1779, il avait réalisé, sur le Doubs, les essais concluants d'un petit pyroscaphe. A notre époque, la Saône est navigable à grand gabarit jusqu'à Châlon-sur-Saône. Michel Grandin, dans «Rivières de France» s'inquiète de cet aménagement de la rivière et se réjouit qu'elle soit rendue impossible, car il faudrait démolir le pont de pierres de Mâcon qui gène le trafic des monstres du trafic fluvial. Que Michel Grandin se rassure, la C.N.R. a pris en compte ce souci et a tout simplement contourné ce pont en creusant autour de la ville de Saint-Laurent (rive gauche) un grand canal de dérivation qui a sauvegardé le pont de pierre et permis de laisser passer ces «monstres» du trafic fluvial. Il a fallu également construire trois ponts sur ce canal pour maintenir les liaisons routières entre Saint-Laurent et le monde extérieur. La technologie mise en oeuvre mérite un coup de chapeau... La Saône reste le centre d'un complexe de canaux français, puisqu'à partir de son cours, on peut naviguer (à petit gabarit): sur le canal de l'est qui permet de rejoindre la Moselle et l'Allemagne à partir de Corre, la limite extrême amont de sa navigabilité; sur le canal qui rejoint la Marne à partir d'Heuilly pour pouvoir atteindre le nord de la France et la Belgique; sur le canal du Rhône au Rhin, qui emprunte la vallée du Doubs à partir de Saint-Symphorien; sur le canal de Bourgogne, à partir de Saint-Jean-de-Losne, qui rejoint la Seine; sur le canal du centre à partir de Châlon-sur-Saône qui double le canal de Bourgogne et dessert le centre de la France. En amont de Verdun-sur-le-Doubs (confluence avec le Doubs), la navigabilité de la Saône est assurée par l'existence de nombreux canaux de dérivation. L'aménagement de la rivière comprend vingt-cinq barrages et écluses. Un affluent de la Saône, la Seille, est également navigable sur une longueur de 39 kilomètres dans un magnifique site naturel jusqu'à Louhans. La Saône est la rivière du silure, poisson venu d'ailleurs, qui fascine le pêcheur au gros. Il n'est pas rare d'entendre parler de spécimen de 2,5 mètres de long. Monstre mythique qui donne lieu à toutes sortes de frayeurs: tel le requin des dents de la mer, il mangerait les petits enfants imprudents. Cette réputation n'a jamais été confirmée. Cette énorme bête aquatique n'a pas de dents, mais une espèce de râpe lui permettant d'avaler progressivement sa proie. Quand on en pêche un et qu'on ne le rejette pas à l'eau (ce que font la plupart des pêcheurs sportifs), on constate que son estomac contient des brêmes, des écrevisses et des poissons-chat. On vient du monde entier sur les bords de la Saône et de la Seille pour pêcher le silure. Bien souvent, "ça casse", et il faut utiliser pour sa ligne, un fil de plus en plus gros qui casse encore... Quel est le monstre qui se tapit ainsi dans les profondeurs de la rivière?
L'AIN
Cette rivière se fit appeler Igniz, Hinnis, Hent, Enz, Indis, avec, pour chacun de ces noms, une orthographe variable. C'est depuis le treizième siècle qu'elle s'appelle l'Ain. Elle prend sa source au sud du plateau de Nozeray, à 700 mètres d'altitude, coule pendant 195 kilomètres jusqu'à rencontrer le Rhône à Anthon à 186 mètres d'altitude. L'Ain a alors un débit de 130 mètres cube par seconde. Sa source, la Doize, coule d'une anfractuosité de dix mètres de haut sur trois mètres de large. En période de sécheresse, on peut pénétrer à l'intérieur de cette grotte. Torrent prisé du kayakiste, rivière dont les affluents sont agrémentés de somptueuses chutes d'eau et qui se perd aussi dans les anfractuosités de la roche calcaire, riche en faune et en flore, l'Ain sait séduire l'amateur de rivières par sa personnalité variée. Elle fut également naviguée par les radeliers, hommes intrépides descendant, par temps de crue seulement, sur des ensembles de troncs de trente mètres de long sur sept de large, assemblés par des peaux de chèvre. Ces radeaux étaient également utilisés pour transporter certaines marchandises et, parfois même, des passagers aventureux. Le bois était vendu au confluent du Rhône. Les magnifiques gorges de l'Ain, de Pont-de-Poitte à Allement, sont désormais noyées dans un lac de retenue du barrage de Vouglans construit en 1968. La rivière a beaucoup donné à la fée électricité puisque plusieurs barrages dont les retenues contiennent au total 630 millions de mètres cube d'eau y ont été construits. En plus de Vouglans déjà cité, il y a les barrages de Sault-Mortier, Coiselet, Charmine, Cize-Bolozon et L'Allement. Dès 1898, une centrale électrique fut installée à Bourg-de-Sirod. Les eaux claires de l'Ain se mélangent avec celles, tout aussi claires, du fleuve Rhône dans un confluent resté sauvage, sans aucun endiguement moderne. C'est le seul confluent important d'une rivière avec le fleuve qui est resté naturel. On comprend que beaucoup de personnes se sont émues du projet de la C.N.R. pour l'aménagement de ce secteur. L'aménagement de Loyettes, du nom d'un village situé à proximité, prévoyait l'endiguement complet du confluent entre l'Ain et le canal de dérivation creusé rive droite du fleuve. Suite aux protestations, la compagnie a bien proposé plusieurs variantes moins bétonnées, mais, à l'heure où ces lignes sont écrites, le projet n'est plus à l'ordre du jour.
L'ISERE
L'Isère prend sa source à la frontière avec l'Italie, au pied de l'Iseron à 2660 mètres d'altitude. Longue de 290 kilomètres, torrent au régime glaciaire au début, son régime hydraulique devient nival, puis nivopluvial jusqu'à son confluent avec le Rhône à 119 mètres d'altitude. Dans la plaine du fleuve, elle forme de larges courbes tranquilles. Mais, son régime nivopluvial est modifié par les nombreux aménagements hydroélectriques de son cours ainsi que celui de ses affluents. Ainsi, la vallée de la Maurienne, célèbre pour ses usines Péchiney, fournit, grâce à l'Arc, affluent de l'Isère, l'énorme quantité d'électricité nécessaire à la fabrication de l'aluminium. Cette vallée a beaucoup donné pour Péchiney qui, aujourd'hui ferme ses usines et jette ses ouvriers au chômage. Au siècle dernier, l'Isère fut, pour les ingénieurs sardes, un champ d'expérimentation de diverses techniques d'aménagement et de colmatage déjà tentées sur le fleuve Pô. Le mot «colmatage» provient de l'italien «colmare», qui veut dire remplir, combler. On emploie aussi le terme technique d'«atterrissement». Ces aménagements fluviaux permirent de moduler et de diriger les flux d'eau et de matières dans les zones inondables afin de leur apporter un limon qui finissait par constituer des champs fertiles. Selon la technique employée, elle permettait l'irrigation, la fertilisation et le drainage; l'arrosage des prairies sèches en hiver; l'assainissement et le colmatage. Après colmatage ou atterrissement, les délaissés alluviaux étaient mis hors inondation grâce à un endiguement. Ces travaux importants ne furent pas sans effet écologique par la modification du niveau des nappes et du paysage végétal. Cette rivière a toujours joué un rôle économique important de structuration de l'espace régional. Avant les aménagements hydroélectriques, l'Isère s'étalait dans sa vallée supérieure en une infinité de bras vifs ou morts en créant ainsi d'innombrables îles. La crue envahissait toute la vallée, large de plusieurs kilomètres. En aval de Grenoble, elle s'enfonçait dans des gorges profondes. Traverser l'Isère était un enjeu économique important et, au milieu du dix-huitième siècle, trente bacs jouaient ce rôle, tout en étant difficiles d'accès. Deux ponts, emportés par une crue en 1651 et reconstruits ensuite, assuraient une traversée confortable à Grenoble et Romans. Ces ponts avaient tant d'importance que Romans fit figurer la porte de son pont sur son blason. Cette construction canalisait une partie du trafic de la vallée du Rhône en périodes de crues du fleuve, de basses eaux et de guerres, bref, lorsque les voyages y étaient impraticables. Grenoble, qui se faisait appeler ville du Pont, contrôlait une entrée des Alpes et du Piémont. Sur le plan économique, la navigation sur l'Isère (très difficile...) joua un rôle de premier plan jusqu'à la fin du dix-huitième siècle. Elle se pratiquait la moitié de l'année, de la frontière savoyarde au Rhône, très difficilement à cause de l'irrégularité de la pente, des variations continuelles de niveau, des obstacles de tous ordres. La remonte voyait souvent le chemin de halage coupé par des affluents, il fallait donc changer de rive. Il était parfois impossible de retrouver le chenal dans les tresses de la rivière. La décize demandait neuf à dix heures de Grenoble à Valence, alors qu'il fallait deux jours par la route, et la remonte dix à douze jours. De nombreux ports balisaient le cours de la rivière. Les bateaux transportaient des ardoises de Tarentaise et de Maurienne, des briques, des tuiles, de la chaux, du plâtre et du bois; des aliments également: noix, blé, vin et fromages. Les évêques de Grenoble possédaient leur propre flotte depuis le quinzième siècle pour s'approvisionner en vin de Savoie. Le transport par voie d'eau assurait les débouchés méridionaux à la métallurgie dauphinoise. Une expérience de navigation à vapeur fut tentée. En octobre 1838, le bateau à vapeur «Le Commerce» remonta l'Isère de Valence à Grenoble. Mais le bateau dut se faire haler à plusieurs reprises. C'est la route d'abord, le chemin de fer ensuite qui eurent raison de la navigation sur l'Isère. L'invention des ponts suspendus par Seguin favorisa la route. Un de ces premiers ponts a été réalisé en 1826 à Fontaine-sur-le-Drac. La mise en service des voies de chemin de fer reliant Grenoble à la vallée du Rhône et Lyon mit fin à cette navigation. Même le flottage de bois disparut en 1880. Plus tard, c'est l'hydroélectricité qui donnera à la rivière Isère une nouvelle fonction économique. L'Isère est aujourd'hui coupée en tronçons par quatre barrages: Balme de Rencurel, Beauvoir, Saint-Hilaire et Pizançon; sans compter les quatre autres de l'affluent le Drac. La rivière est célèbre puisque c'est elle qui produisit la première de l'hydroélectricité, en 1869, grâce à l'ingéniosité d'Aristide Bergès.
LA DRÔME
Elle prend sa source à la Bâtie-des-Fonds à 1023 mètres d'altitude. Elle retrouve le Rhône à l'altitude de 86 mètres entre Valence et Montélimar, après une course de 108 kilomètres. C'est déjà une rivière méditerranéenne, sèche en été, violente en automne et au printemps. Le mot grec dromos serait à l'origine de son nom. Il signifie: la course. A quelques kilomètres en aval du village de Valdrôme, le pic de Luc s'éboula en 1440 lors d'un tremblement de terre. Ce qui créa un lac, appelé le grand Lac qui se combla des sédiments apportés par la rivière. Aujourd'hui, la Drôme traverse une plaine cultivée et, après avoir passé un petit tunnel, saute dans le vide. C'est le «saut de Drôme». Au Pied du Vercors, neuf kilomètres de vallée ont échappé à l'endiguement général du dix-neuvième siècle. C'est la réserve naturelle des Ramières du val de Drôme où 550 espèces végétales ont été recensées. La Drôme reste une des dernières rivières indemnes de barrages et d'aménagements modernes. Elle fait déjà l'objet d'un contrat de rivière et aujourd'hui, elle s'inscrit dans un S.A.G.E. (Schéma d'aménagement et de gestion des eaux).
L'ARDECHE
Avec ses 120 kilomètres de long, elle est le plus grand affluent du Bas-Rhône. Les autres ne sont que des torrents dévalant des combes escarpées (sauf le Gard et les Gardons). Elle prend sa source dans le Vivarais à 1467 mètres d'altitude; de l'autre côté de la montagne, pas très loin, la Loire et l'Allier font de même. Elle rencontre le Rhône à proximité de Pont-Saint-Esprit. C'est un torrent dans son cours supérieur jusqu'à Vallon-Pont-D'Arc où commencent les fabuleuses gorges de l'Ardèche creusées par la rivière, entre les plateaux calcaires des Gras au nord et d'Orgnac au sud. Comme le dit Michel Grandin, «l'Ardèche, c'est le paradis et l'enfer, la douceur et la fureur à l'état brut.» Ses crues sont apocalyptiques! En 1827, 1890 et 1924, son débit monta à 7800 mètres cube par seconde et son niveau, dans les gorges, à 21,4 mètres de hauteur! En 1877, par un de ses fameux «coups», l'Ardèche a pulvérisé la digue du Rhône construite sur la rive opposée à son confluent! Le Pont-D'Arc est une magnifique sculpture taillée dans le calcaire par la rivière. C'est une arche haute de trente-deux mètres, due au recoupement d'un méandre. C'est cet arc de triomphe qui ouvre les gorges de l'Ardèche, convoitées par les amateurs de rivière, de torrent, de falaises abruptes à escalader, de vues plongeantes, d'eau claire et d'espèces naturelles diverses. Ce site fabuleux est devenu, en 1980, «Réserve naturelle». 180 000 canoës descendent la rivière dans l'année. Cet afflux pose des problèmes. De sécurité d'abord, car, on l'a vu, les crues de l'Ardèche sont violentes et soudaines. De préservation du site ensuite. Enfin, une telle attraction ne peut que susciter les appétits locaux. Voilà donc encore un exemple concret de conflits d'usage d'une rivière... La réserve naturelle des Gorges de l'Ardèche couvre une surface de 1570 hectares. Ce site grandiose de réputation internationale comprend trente kilomètres de canyon sauvage où les falaises abruptes donnent le vertige. Le régime de la rivière, sécheresse en été et pluies abondantes en hiver, en fait la limite du climat méditerranéen. Chêne vert et garrigue de Thym et Lavande caractérisent le paysage. La faune et la flore sont très riches: Aigles de Bonnelli, ainsi qu'un couple de Vautours Percnoptère vivent dans ce site de parois calcaires. Le Castor s'y est installé en compagnie de la Genette, du Lézard ocellé, de la Couleuvre de Montpellier et du Scorpion languedocien. Ce site calcaire abrite des grottes d'où s'échappent de nombreuses espèces de chauves-souris.
LA DURANCE
Après la Saône, c'est le plus long affluent du Rhône: 305 kilomètres. La Durance naît près du Montgenèvre. Son affluent principal est le Verdon. à Mallemort, une partie de son cours est déviée par un canal qui amène l'eau à l'étang de Berre pour produire de l'électricité à Saint-Chamas, ce qui ne manque pas de poser de graves problèmes d'équilibre écologique à cet étang d'eau salée à qui cette eau douce ne convient pas vraiment. La Durance se jette dans le Rhône en aval immédiat d'Avignon, formant ainsi avec le fleuve une presqu'île appelée la Courtine sur laquelle s'est développée une zone industrielle. Dans des temps reculés, la Durance charria une énorme quantité de roches et de galets en association avec le Rhône pour former une immensité de cailloux dont le désert de la Crau constitue une partie. L'autre partie forme actuellement le substratum de la Camargue. Cette rivière à régime torrentiel venant de la montagne est la principale voie d'eau en Provence occidentale. Elle passe de 2300 mètres d'altitude à sa source, à celle de 15 mètres au confluent avec le Rhône. Elle pouvait passer, avant les barrages, d'un débit de quelques dizaines de mètres cube par seconde à 6000 mètres cube par seconde en période de crue. Elle constituait alors, avec le Mistral et le Parlement, les trois fléaux de la Provence... Ces crues faisaient changer son cours chaque année. Au dix-neuvième siècle, la Durance subit de nombreux travaux d'endiguement et de colmatage dans la partie basse de sa vallée, comme sur l'Isère. Le premier barrage que l'on construisit fut celui de Serre-Ponçon (1959). Avec sa retenue de 1 270 millions de mètres cube de capacité, il permet de régulariser les débits de la rivière. Plusieurs barrages élevés ensuite en aval servent pour l'irrigation et la production électrique. à partir du confluent avec le Verdon, un canal alimente cinq usines hydroélectriques, celles de Jouques, Saint-Estève, Mallemort, Salon et Saint-Chamas (au bord de l'étang de Berre). Grâce à l'informatique, elles sont pilotées automatiquement depuis le poste commun de commande de Sainte-Tulle. Ce poste commande l'ensemble des treize usines Durance-Verdon et peut apporter quasi instantanément au réseau une puissance de 1 900 mégawatts. Tous ces canaux et tuyaux de chute d'eau sont alimentés par le barrage de Cadarache, situé en aval du confluent Durance-Verdon. Cet aménagement comporte un énorme bassin de décantation qui piège les apports solides de la Durance et permet de limiter (limiter seulement) les rejets solides dans l'étang de Berre. Tout ce réseau est complété par d'autres canaux et barrages prévus pour l'irrigation et l'alimentation en eau potable, certains aménagements étant rendus nécessaires pour stabiliser le niveau des nappes phréatiques. Toute la vallée de la Durance, et au-delà, est striée de canaux d'irrigation et de production hydroélectrique. Cette rivière est une vraie mine d'or pour cette région de Provence. Après Serre-Ponçon, son lit naturel est en débit réservé, l'essentiel de l'eau étant utilisé pour la production électrique et l'irrigation. Cet énorme aménagement a eu un autre effet sur la rivière: la régulation des débits a créé une nappe superficielle stable, car la retenue emmagasine de l'eau au printemps lors de la fonte des neiges et la libère en automne et en hiver pour la production électrique, et en été pour l'irrigation. Les écosystèmes ont donc évolué. Il est apparu une végétation pionnière (Cresson, Véronique aquatique, Menthes), les eaux stagnantes se sont peuplées, les milieux étant restés secs ont vu se développer la végétation qui leur est particulière (Argousier, canne de Ravenne, Onagre...) et, enfin, une véritable ripisylve s'est reconstituée. Enfin, la rivière dans son ensemble, puisqu'elle contient toujours de l'eau, constitue, pour la faune et la flore, une voie de migration entre le monde méditerranéen et le monde alpin. Ainsi, la Globulaire Turbith côtoie les plantes alpines comme la Gypsophile et l'Argousier. La Durance accueille des animaux venant d'Afrique comme la Cigogne, le Guépier, la Huppe et d'Europe du nord comme le Cormoran et de nombreux canards. Grâce aux aménagements, elle est devenue un véritable carrefour biogéographique. La rivière accueille donc une nouvelle avifaune, mais sa nouvelle morphologie laisse disparaître les espèces «steppiques». Ainsi, la Durance abrite les seuls couples continentaux en France de Lusciniole à moustaches, mais l'envahissement des îlots de galets par la végétation fait disparaître la Sterne variable.
LE GARD ET LES GARDONS
C'est un ensemble de 71 kilomètres de long; on lui donne même 133 kilomètres depuis la source du Gardon de Saint-Jean; le Gard, après être passé sous le pont-aqueduc romain du même nom, retrouve le Rhône en rive droite en se jetant dans le tronçon court-circuité de l'aménagement de Vallabrègues, juste en aval du barrage mobile le plus important de France, car le Rhône atteint ici le maximum de sa puissance. C'est le dernier affluent du fleuve. Le magnifique pont-aqueduc romain date du premier siècle. Il est long de 275 mètres et haut de 49 mètres. Le Gard est formé par les Gardons d'Anduze et d'Alès, ce dernier étant le collecteur de toute une série de Gardons cévenols. Les pluies orageuses de fin d'été, après la sécheresse, produisent des crues foudroyantes. Les Gardons se réunissent en Gard après Vézénobres. Les eaux des Gardons ont fait l'objet d'un des premiers schémas d'aménagement et de gestion des eaux de France (S.A.G.E.). Ce Sage a pour enjeux principaux la qualité des eaux, la ressource en eau, les crues et leur gestion, la ripisylve et la pollution par les nitrates dans les eaux souterraines.
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