Le Dragon de Niort
(Par Guillaume Darnaud) Une vieille tradition
niortaise Guy Pillard, dans son livre sur la
mythologie en Deux-Sèvres, évoque longuement cette tradition : “À Niort, une tradition place au XVIIIè siècle le combat d’un
dragon ailé et d’un soldat. La lutte se serait déroulée près de la porte
Saint-Jean. À cette époque en effet, le Marais s’étendait encore jusqu’au bourg
de Ribray, et les abords de la Porte Saint-Jean étaient couverts de joncs et de
plantes aquatiques. Les Marais d’Aunis trouvaient là leur limite orientale. Près de l’endroit d’où, aujourd’hui, part l’avenue Saint-Jean, un
monstre, sorte d’énorme serpent ailé, était venu se réfugier dans un vaste
souterrain. Il en sortait, de jour aussi bien que la nuit, pour enlever des
enfants, des femmes et même des hommes dont il faisait sa nourriture. Et, se
jouant des pièges qu’on lui tendait, il avait plusieurs fois mis en fuite des
bandes d’hommes armés venus le combattre. Un soldat, condamné à mort pour désertion, sollicita sa grâce en
offrant de tuer le monstre. Le corps et le visage couverts d’une armure
d’acier, armé d’une lance et d’un poignard, il s’avança vers l’antre du
monstre. Il réussit à lui plonger son couteau dans la gorge. La bête vomit des
flots de sang et se débattit en tordant sa longue queue. Le soldat crut la
partie gagnée et ôta son masque. L’animal, alors, dans un suprême effort,
mordit son ennemi à la figure, et le soldat mourut à l’instant en même temps
que le dragon. Le corps du monstre fut placé sur une charrette et promené par
toute la ville. Au soldat, on éleva un tombeau dans le cimetière de l’Hôpital
Général. La pierre tombale, outre l’inscription rappelant le combat, représentait
le soldat et le dragon. Elle est maintenant disparue, mais un dessin est
resté.” C’est, en substance, la version la
plus populaire de la légende du Dragon de Niort. Une deuxième version,
antérieure d’un bon siècle, fait état, non plus d’un soldat mais d’un
chevalier, d’un noble. La pierre tombale, elle, existe bien ;
elle est entreposée au musée d’Agessy après avoir été exposée, il y a quelques
années, au Pilori. Des Dragons dans nos
contrées La venue (et bien souvent sa mort)
d’un dragon est un thème récurrent dans les mythologies. Outre les dragons chinois,
on en trouve en Suisse, en Allemagne, sans oublier Fafnir, le Dragon des
légendes scandinaves, immortalisé par Richard Wagner. En Poitou-Charentes, nous connaissons
déjà “la Grande Goule”, dont on portait la statue en procession à l’époque des
Rogations. Mais les régions de France possèdent aussi parfois leur propre
dragons, tel le Graoully de Metz, étouffé par Saint-Clément, premier évêque de
Metz, ou encore celui de Draguignan où un autre évêque, Hermentaire, s’occupa
d’un monstre nommé la Tarrasque. Sans doute que la plupart de ses
manifestations sont des représentations régionales du Grand Dragon, celui de
l’Apocalypse. Sans se noyer dans des détails
mythico-religieux, l’on peut mettre en
relief trois points soulignés par Mr Dupin (Préfet des Deux-Sèvres sous le
Premier Empire) : —
Il désigne la symbolique du Monstres : l’Hérésie. —
Il souligne la part de responsabilité du pouvoir Temporel (le Maire) dans
l’organisation des manifestations plus ou moins folkloriques… —
Il met en lumière la pédagogie du Mythe : la nécessité de satisfaire aux
besoins de la société … Ces besoins étant présentés comme le mal inhérent de
l’existence même. La Légende Niortaise L’originalité dans la légende de
Niort, c’est de la manière dont se termine le combat : par la mort des deux
protagonistes. Certes, on retrouve plus ou moins la même issue à Furth, en
Allemagne. Et l’on raconte qu’en Suisse, on opposa un taureau nourri au lait pendant six ans et que le choc qui en résulta
fut si terrible qu’ils en périrent tous les deux ! Cependant, deux versions
s’affrontent. La première nous présente un
chevalier, Guillaume de Beauchamp, la seconde un déserteur condamné à mort,
Jacques Allonneau. Pour le chevalier, on peut y voir un
retour de flamme suite aux humiliations durant les guerres de religion et de la
destruction d’un aumônerie en 1568, provoquée par les Huguenots. Vingt plus
tard, les Catholiques passaient à l’action. 1589, c’est, selon la légende, l’année
du premier combat contre le Dragon. 1589, c’est aussi la Peste où elle
sévira à Niort en 1603. 1589,
c’est l’année de la grande peur pour les Catholiques. Dans la nuit du 27 au 28
décembre 1588, à la tête des protestants, Saint-Gelais et l’écrivain-soldat
Agrippa d’Aubigné s’emparent de la ville : meurtres, pillages, incendies ont
suivi… Pour le soldat, on rattache
l’événement à 1692. Pour résumé, on peut y voir un geste catholique symbolisant
un combat inutile (entre catholiques et protestants) puisque les deux
adversaires finissent par y laisser leur peau. De leur côté, les protestants,
eux, préfèrent voir dans le dragon ceux des Maurillac qui les persécutaient
quotidiennement. “Dans leurs prières comme dans leurs conversations, quel autre
visage ces dragons pourraient-ils avoir que la gueule du dragon d’abomination
trônant sur les ossements de leurs pères ? C’est ainsi que le tombeau va
devenir le véhicule de leurs espoirs et de leurs pensées. C’est ainsi qu’ils
vont retrouver l’instinct de vivre.” Comme on le voit, ici comme ailleurs,
le dragon et son pourfendeur n’échappent pas à leur symbolique : combat du Bien
et du Mal, victoire du Bien qui perd des plumes au contact du Mal. Et aujourd’hui ? En cette aube du troisième millénaire,
la légende du Dragon de Niort est plus vivace que jamais. Tous les ans, le quartier Saint-Jean (localisation
du théâtre des événements) fête dignement cette histoire au cours d’une
journée qui associent la population et les commerçants. La rue Ricard (une des rues principales
du centre-ville) s’enorgueillit de quatre Dragons de bronze délimitant un
espace piéton, et il n’est pas rare d’entendre parler tout simplement de la
rue des Dragons. Des artistes de tout discipline ont
puisé dans cette imaginaire pour créer des œuvres significatives ; en
particulier, une jeune peintre, Cécilia Cil, qui a présenté une superbe
exposition narrant la légende du dragon. L’auteur du roman, lui-même, n’en est
pas à sa première incursion dans le mythe puisqu’il a déjà écrit une nouvelle
pour le magazine municipal “Vivre à Niort”, mettant en scène les Dragons de la
rue Ricard. Une dernière
explication Le lecteur peut se demander ce que
vient faire un bateau viking sur la Sèvre. Cela peut être une des sources
plausibles de la naissance de la Légende. En effet, aux alentours de l’An mil,
il ne fut pas rare que des expéditions vikings remontent la Sèvre (beaucoup
plus importante alors) pour commercer, troquer ou piller. Mais jamais, nos joyeux Nordiques ne
purent prendre la ville de Niort, s’ils en avaient eu l’intention. À l’époque,
il existait une formidable enceinte entourant le Donjon ainsi qu’une ligne de
fortifications protégeant efficacement la ville. Les bateaux vikings, avec leur proue
ouvragée à l’effigie du dragon, ont certainement dû impressionner les esprits
niortais. De là, à en tirer une légende, il n’y a qu’un pas… que j’ai osé
franchir dans ce roman. Sources : Bulletin de la société historique et
scientifique des Deux-Sèvres, 2ème série, tome XXII, 1989, n° 1. Guy Pillard, Les survivances et
l’environnement mythologiques dans les Deux-Sèvres, Brissaud, 1980) Remerciement : Christian Gendron, Conservateur en
Chef des Musées de Niort, pour la documentation concernant le Dragon et une
passionnante conversation sur le mythe des dragons. Victor Sévilla, pour les illustrations
et son amitié. Musique : Garmania - Le mystère des chants vikings Tangerine
Dream -
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