Il est fini le temps où le
maire de Calais envoyait à Paris quelques estafettes d'employés municipaux pour
contribuer, en bon camarade, au montage de la Fête de L'Huma. Natacha Bouchart
l'a proclamé le 19 mars : «Calais est libérée !» Enfin, presque.
Au soir de sa large victoire, 54 % des voix, madame le maire UMP élue à la
tête d'une coalition de droite, du centre et de gauche a tout de même jugé
préférable de ne pas s'inviter dans le hall de l'imposante mairie de style
flamand Renaissance dont le beffroi, du haut de ses 75 mètres, a sonné les
heures des trente-sept années de gestion communiste. Profil bas. On évite la
provocation.
Il faut dire que le choc a
été rude pour ceux des Calaisiens qui auraient bien voulu offrir un second
mandat au PC Jacky Hénin, successeur d'un autre communiste, Jean-Jacques
Barthe, trente ans de règne. Ils n'ont pas senti venir le vent du large, pas
entendu le ras-le-bol d'une population de plus de 73 000 habitants dont
8 % touchent le RMI et 14 % sont au chômage. Ils ont observé, goguenards,
la discrète Natacha Bouchart, salariée du principal lycée privé de la ville,
membre du Ladies' Circle un club d'entraide pour femmes partir à l'assaut de
«Jacky le Terrible», au verbe aussi haut que ses épaules sont larges. Ils n'ont
pas compris que si cette quadra n'avait pas le profil d'un Prince noir faisant
le siège de Calais, son intelligence politique n'était pas moins aiguisée que
sa volonté de «faire tomber Calais aux mains des Calaisiens» ou, selon son
premier adjoint, Philippe Blet, socialiste en dissidence du PS : «faire
tomber les portes de fort Alamo». Cette petite-fille d'immigrés polonais d'un
côté, arméniens de l'autre a la volonté bien trempée.
À 16 ans, Natacha Bouchart
était encartée au RPR, suivant la voie ouverte par son père, «un forain,
conseiller municipal d'oppositiondans les mines». Outre son rejet du
communisme, inscrit dans les gènes familiaux, elle revendique donc cette
libération de Calais comme gaulliste, héritière spirituelle du beau-frère du
général, Jacques Vendroux, maire de la ville de 1959 à 1969. Lorsqu'elle a
rencontré Nicolas Sarkozy, en novembre dernier, il lui a donné deux
conseils : «Cette campagne, fais-la comme tu le sens et ne t'entoure pas
trop de conseillers.»
Natacha Bouchart, qui
l'espère bientôt en visite à Calais, est aujourd'hui aux commandes et continue
à suivre cette voie. Elle refuse ainsi de céder aux séduisantes sirènes de la
victoire. «Pas de chasse aux sorcières». Le maire sait bien que la transition
«est difficile pour certains». Elle veut «faire confiance a priori» aux
1 200 agents municipaux. «On sait où se trouvent les taupes du précédent
système», note cependant, prudent, un élu en aparté.
Dans les couloirs, les
poignées de mains sont franches et chaleureuses. Elle prend du temps pour
discuter avec chacun. «Natacha a soulevé une chape de plomb», poursuit l'élu.
Dans le dos du maire, son directeur de cabinet, l'ancien député RPR Claude
Demassieux, regarde sa montre et lui rappelle ses obligations. Les rôles ont
été inversés. Elle l'a soutenu pour la première fois lors de la campagne des
législatives en 1993. Plusieurs fois candidat malheureux à la mairie de Calais,
il veille désormais sur son poulain.
Natacha Bouchart a rompu
avec le style de son prédécesseur, surnommé «Napoléon» par certains de ses
proches. Son immense bureau du rez-de-chaussée, orné de boiseries, la maire l'a
trouvé «trop beau pour ( elle ) toute seule». On y tient donc désormais des
réunions. Elle s'est installée au premier étage, dans une pièce sans charme,
mais vaste et lumineuse. Pas de problème pour transporter les armoires : Jacky
Hénin n'a rien laissé, pas un dossier, pas une indication. Pas même une pauvre
fleur comme celle, à Montreuil, offerte par Jean-Pierre Brard à Dominique Voynet.
Les dossiers sont donc reconstitués au fil des visites planifiées dans les
différentes directions de la mairie. Natacha Bouchart, qui se définit comme
«déterminée, sensible, accessible, mais pas naïve», fait la moue lorsque le
dossier sur le nouvel hôpital lui est présenté comme «bouclé depuis septembre
dernier». Il sera épluché, comme le sont en ce moment les comptes rougeoyants
du stade en construction ou de la prochaine «Cité de la dentelle»…
Elle s'apprête à tenir une
conférence de presse, à donner le ton des chantiers à venir dont celui
ultrasensible aux portes de l'Angleterre de la prochaine création du Conseil
des migrants. Elle va aussi confirmer que «Calais est ouverte aux
investisseurs». «Ils m'appellent, dit-elle, de toute la France.»
Chacun de ses gestes est
disséqué. Entre autres par Jacky Hénin, qui n'a pas hésité à la traiter de
«trouillarde» lors du premier conseil municipal et qui aurait l'intention de
profiter des prochaines élections locales de la CGT pour y placer ses proches,
renforçant sa position d'opposant municipal. Il dénonce à tout-va le soutien du
journal local, Le Nord Littoral, à Natacha Bouchart, ou le désistement en sa
faveur du candidat FN… Sa défaite est très amère.
Elle est aussi attendue au tournant par ceux qui s'étonnent encore du succès de son équipe politique hétéroclite. Philippe Blet, son adjoint et président de la communauté d'agglomération du Calaisis, est très optimiste. «Nous avons tout ici : le tunnel, une autoroute, un port, une gare TGV, une université… Il n'y a aucune raison pour que la mayonnaise ne prenne pas.» Il s'amuse à citer le Che : «Soyons réalistes, exigeons l'impossible.»
Le Figaro (29/04/2008)
Sophie de Ravinel