par Daniel Pipes
Jerusalem Post
10 janvier 2008
http://fr.danielpipes.org/article/5360
Version originale anglaise: Fascism's Legacy: Liberalism
Adaptation française: Alain Jean-Mairet
[Note du
traducteur: la notion américaine de libéralisme politique n'est pas traduisible
hors de son contexte spécifiquement américain; son plus proche équivalent en
français est sans doute ce qu'on appelle la social-démocratie de l'Europe
actuelle]
Le fascisme libéral sonne comme un oxymoron – ou une expression servant
aux conservateurs à insulter leurs adversaires libéraux. En fait, elle a été
forgée par un auteur socialiste respecté et influent, H.G. Wells, qui, en 1931,
appelait ses amis progressistes à devenir des «fascistes libéraux» et des
«nazis éclairés». Vraiment.
En effet, ses paroles s'inscrivent dans un projet beaucoup plus large, visant à
fusionner le socialisme et le fascisme: Mussolini, qui a été une figure de
proue socialiste, s'est détourné de l'internationalisme pendant la Première
Guerre mondiale en faveur du nationalisme italien, dont il qualifia sa version
de fascisme. De même, Hitler dirigeait le Parti national-socialiste
des travailleurs allemands.
Ces faits dérangent parce qu'ils contredisent l'éventail politique qui modèle
notre vision du monde depuis la fin des années 1930 et qui place le communisme
à l'extrême-gauche, suivi du socialisme, du libéralisme au centre, puis du
conservatisme et enfin du fascisme à l'extrême-droite. Mais cet éventail, comme
le relève Jonah Goldberg dans un nouvel ouvrage brillant, profond et original –
Liberal Fascism: The Secret History of the American Left from Mussolini to
the Politics of Meaning (Le fascisme libéral: l'histoire secrète de la
gauche américaine de Mussolini à la politique du sens; Éd. Doubleday) –,
reflète l'utilisation du terme fasciste par Staline, soit comme un
épithète servant à jeter le discrédit sur qui bon lui semblait – Trotski,
Churchill, les paysans russes – et déforme la réalité. En 1946 déjà, George
Orwell observait que le terme fascisme avait dégénéré jusqu'à désigner
simplement «quelque chose d'indésirable».
Pour comprendre pleinement la signification du fascisme, il faut mettre de côté
la déformation du terme introduite par Staline et écarter également la Shoah
pour revenir à la période que Goldberg nomme l'«heure fasciste», soit
approximativement les années 1910 à 1935. Le fascisme, une idéologie étatiste,
se sert de la politique comme d'un outil pour faire passer la société du stade
d'individus épars à celui d'ensemble organique. Pour ce faire, il donne
l'ascendant à l'État sur l'individu, aux connaissances d'experts sur les débats
et au socialisme sur le capitalisme. Il est totalitariste dans l'interprétation
originale mussolinienne du terme – «Tout dans l'État, rien hors de l'État, rien
contre l'État». Le message du fascisme se résume à «moins de paroles, plus
d'action!». Son principal attrait est son efficacité pratique.
En revanche, le conservatisme prône un gouvernement restreint,
l'individualisme, le débat démocratique et le capitalisme. Ses attraits sont la
liberté ainsi qu'une dgrande latitude laissée aux citoyens.
Le triomphe de Goldberg consiste à établir la parenté entre le communisme, le
fascisme et le libéralisme. Tous dérivent en effet de la même tradition qui
remonte aux Jacobins de la Révolution française. Son éventail politique révisé
sur cette base est axé sur le rôle de l'État et s'étend du libertarianisme aux
diverses moutures du fascisme – américaine, italienne, allemande, russe,
chinoise, cubaine, et autres – en passant par le conservatisme.
Comme le suggère cette
liste, le fascisme est très souple; ses variations diffèrent par les détails,
mais elles partagent «des impulsions émotionnelles ou instinctives». Ainsi,
Mussolini a ajusté le programme socialiste pour mettre l'État en exergue;
Lénine a fait des travailleurs l'avant-garde du progrès; Hitler a ajouté la
race. Alors que la version allemande était militariste, la variante américaine
(que Goldberg qualifie de fascisme libéral) est presque pacifiste.
Goldberg cite l'historien Richard Pipes à ce propos: «Le bolchevisme et le
fascisme étaient des hérésies du socialisme.» Il prouve cette concordance de
deux manières.
Premièrement, il
propose une «histoire secrète de la gauche américaine»:
· Le progressisme de
Woodrow Wilson comportait un programme «militariste, fanatiquement
nationaliste, impérialiste, raciste», rendu possible par les exigences de la
Première Guerre mondiale.
· Le «New Deal fasciste»
de Franklin D. Roosevelt reprenait et étendait le gouvernement de Wilson.
· La «Great Society» de
Lyndon B. Johnson établissait l'État-providence moderne, «la concrétisation
ultime» (pour l'instant) de cette tradition étatiste.
· Les jeunes
révolutionnaires de la Nouvelle Gauche des années 1960 apportèrent «une
modernisation américanisée» de la vieille droite européenne.
· Hillary Clinton espère
«insérer l'État profondément au sein de la vie familiale», un pas essentiel du
projet totalitaire.
Pour résumer près d'un siècle d'histoire,
alors que le système politique américain traditionnel encourage la poursuite du
bonheur, «un nombre croissant d'entre nous souhaitent cesser de le chercher et
se le faire livrer à domicile».
Deuxièmement, Goldberg dissèque le programme libéral américain – racial,
économique, environnemental, même le «culte du bio» – et montre ses affinités
avec ceux de Mussolini et Hitler.
Si ce condensé vous paraît trop peu plausible, vous devriez tout de même lire Liberal
Fascism en entier pour ses citations pittoresques et sa documentation
convaincante. L'auteur, connu pour son esprit vif et son talent de polémiste
acéré, a prouvé être un penseur politique majeur.
Outre d'offrir une manière radicalement différente d'aborder la politique
moderne, dans laquelle le qualificatif de fasciste n'est pas plus
insultant que celui de socialiste, l'extraordinaire ouvrage de Goldberg
fournit aux conservateurs les instruments nécessaires pour répliquer à leurs
persécuteurs libéraux et même passer à l'offensive. Si les libéraux peuvent agiter
éternellement le spectre de Joseph McCarthy, les conservateurs peuvent bien
répondre par celui de Benito Mussolini.