Jean-Pierre Andrevon
On assiste depuis quelques années à l’émergence d’un grand nombre
d’auteurs français de SF : pour le meilleur ou pour le pire ? En France, la s-f a toujours fonctionné selon des
périodes de haut et bas étiages. Je suis moi-même arrivé (fin des années 60)
quand elle avait la tête sous l'eau, ça a regrimpé, ça a baissé, maintenant,
depuis pas loin de dix ans, ça regrimpe. Tant mieux, en attendant pire. Il
est toujours encourageant de voir les auteurs croître : c'est signe de bonne
santé du genre. Il est moins encourageant de voir le nombre de lecteurs
stagner ou baisser. Mais il est en est de la s-f comme d'autres genres peu
populaires (quoi qu'on dise), comme le polar ou la poésie. L'essentiel est d'atteindre
un point d'équilibre, où il n'y ait pas plus de comédiens sur scène que de
spectateurs dans la salle. Ce qui était arrivé à la fin des années 70, où il
y avait 37 collections sur le marché, d'où étouffement. Il me semble qu'en ce
moment, un certain équilibre a été atteint, fragile certes. Ce qui est dû
pour une bonne part à l'émergence de petites éditions, aux tirages modestes,
et de peu de coût, relayées par 3 ou 4 collections de poche. Quant aux
auteurs… je me garderai bien de porter un jugement de valeur, d'abord parce
que, globalement, ça ne servirait à rien, aussi, hélas ! parce que je lis
beaucoup moins de s-f qu'avant... De
jeunes écrivains t’ont lu et apprécié avant de se mettre à écrire ; tu
en as influencé beaucoup : te retrouves-tu parfois dans leurs
écrits ? Apprécié et combattu, voire vilipendé, tu veux
dire ? J'ai toujours écrit à l'opposé des goûts et des modes, et loin de tout
consensuellement et politiquement correct. Je fais partie des post-68tards
et, contrairement à d'autres, je continue, persiste et signe. Parce que, 1)
la s-f est le terrain idéal pour parler de la société et de son avenir, donc
de politique, et que 2), tout ce que nous disions, tout ce que nous
prédisions dans les années 70, nous les écolos-politiques, s'est avéré vrai. C'est donc avec satisfaction que j'ai pu
constater qu'après un rejet massif de l'engagement, une montée en force de la
fantasy, certains auteurs, pas tous, se sont à nouveau rendu compte qu'ils
vivaient dans un monde précaire, et qu'il était bon de donner de la voix
contre les aveugles, les sourds, les muets, les
lâches, les connards. À ce titre, je salue Lehman, Bordage, Ayerdhal surtout. Certains te demandent-ils aide, conseils ou
avis ? Comment le prends-tu ? À mes débuts, j'avais demandé aide, conseil, avis
à mon auteur fétiche : René Barjavel. Qui m'avait fraternellement
accueilli, ce que je n'oublierai jamais (alors qu'aujourd'hui il de bon ton
de le dénigrer et de le traiter de réactionnaire). Quand on fait appel à moi,
j'essaye toujours de répondre, seul temps m'empêchant de faire plus et mieux. Penses-tu
qu’ils soient mieux entourés et conseillés en général, que leur position de
créateur soit plus confortable que la tienne au même âge (25-35 ans) ? Cet entourage vient en particulier de directeurs
de collection qui ont le même âge que les jeunes auteurs qu'ils publient (Sébastien
Guillot, Gilles Dumay, Olivier Girard). Donc les contacts sont plus faciles,
plus amicaux que "de mon temps", où l'on avait affaire à de
vieilles barbes. Mais pas toujours, si l'on veut bien se souvenir de Klein
quand il était accessible ou de Dorémieux quand il
était vivant. Ceci dit ( et ce n'est qu'un avis
personnel ), à quoi servent les conseils les plus avisés ? Un auteur, un
créateur en général doit être un solitaire, capable de ne compter que sur ses
seules forces (lire les autres étant un bon exercice musculaire). Que penses-tu des éditeurs de SF actuels ? Voir ci-dessus. J'ajoute un bémol : un
"bon" éditeur, pour un auteur, est celui qui vous publie. Le reste
est accessoire. Selon toi, la jeune SF française
soutient-elle la comparaison avec l’Anglo-saxonne ? Voir plus haut : je ne lis plus assez pour avoir
un avis vraiment circonstancié. Mais trouve-t-on chez nous les équivalents
d'un Simmons, d'un Silverberg ? Bordage, peut-être.
Mais jeune veut dire jeune : on ne peut comparer un auteur entre 30 et 40 ans
avec quelqu'un qui a 30 ou 40 ans de carrière. On en reparlera dans 20 ans ! Beaucoup
de jeunes auteurs donnent dans la fantasy et le steampunk :
apprécies-tu ces genres très peu pratiqués il y a 15 – 20 ans ? On a pu dire que LES HOMMES-MACHINES CONTRE
GANDAHAR (1969) était le premier exemple de fantasy à la française. Pour moi,
c'était plutôt un space-opera. Et il est vrai que
je n'apprécie guère la fantasy, trop répétitive à mon goût (à part Leiber et quelques Vance). Le steampunk
est d'une tout autre trempe, qui sait (quand il est bien fait), faire
fonctionner la nostalgie dans le bon sens. Même si on quitte un moment le
domaine de la littérature, LA LIGUE DES GENTLEMEN EXTRAORDINAIRES est un
chef-d'œuvre ( je parle de la b-d ). Ne regrettes-tu pas un certain manque
d’engagement politique ? Je regrette surtout que certains (bizarrement, on
les trouve surtout dans la tranche des 40-50 ans, suivez mon regard)
s'acharnent à refuser, à dénigrer cet engagement, et à nous resservir les
éternels arguments sur la "littérature-tract". Quand le fascisme
rampant et la montée des eaux aura eu raison d'eux, peut-être se poseront-ils
(trop tard) des questions. Ceci dit, on peut écrire
de l'excellente s-f sans être « engagé » : mon second maître avec
Barjavel, Stefan Wul, en est un exemple éclatant. Dernière question cruciale : quels sont tes
chouchous ? Mes cinq chats, qui sont de pures créatures de
science-fiction. Propos recueillis par Alain Pelosato (été 2003)
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